Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/600

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aussi bien ces études de droit, qu’il faut faire tomber en 1642, auraient-elles eu beaucoup à souffrir des distractions de Molière. Non-seulement en effet dans cette même année 1641-1642 il achève sous Gassendi ses études philosophiques, — non-seulement il fréquente les théâtres en compagnie de Cyrano de Bergerac, — non-seulement « il ébauche sa liaison avec Madeleine Béjart, » — ce qui prouverait simplement qu’un étudiant du XVIIe siècle n’était pas beaucoup moins inoccupé qu’un étudiant en droit de nos jours; — mais encore du mois d’avril au mois de juillet 1642 on veut qu’à titre de survivancier de la charge de tapissier valet de chambre il ait suivi le roi Louis XIII dans ce fameux voyage de Narbonne qui devait coûter la vie à Cinq-Mars et De Thou. On a beaucoup discuté ce voyage de Molière; « les Grecs, enfans gâtés des filles de Mémoire, » n’en auraient eu garde. Ils aimaient ces rapprochemens, qui ne coûtent pas beaucoup en somme à la vérité de l’histoire et qui mêlaient le nom de leurs grands hommes au souvenir des grands événemens de leur vie nationale. Et comme ils se plaisaient à raconter que dans cette illustre journée de Salamine, Eschyle combattant sur les vaisseaux d’Athènes, Sophocle chanta sur le rivage le péan de la victoire, à l’heure même qu’Euripide naissait dans l’île, sans doute ils se fussent complus à cette image d’un Molière assistant à l’arrestation de Cinq-Mars, comme à cet autre souvenir d’un Bossuet contemplant d’un œil avide la litière qui de ce voyage tragique ramenait le cardinal de Richelieu dans Paris. Ils eussent plutôt inventé l’anecdote une seconde fois que de la contrôler. Aussi nous félicitons-nous que, pour Molière du moins, la preuve soit désormais acquise et qu’on ne puisse pas surprendre en défaut sur ce point le détail des argumens de M. Loiseleur. Molière suivit donc le roi, s’acquitta des fonctions de sa charge, visita pour la première fois ces contrées du midi, ce même Languedoc où ses courses nomades le ramenèrent plus tard comme vers un séjour de prédilection, et ne rentra dans Paris que vers la fin de 1642, toujours pour s’y occuper beaucoup moins de droit que de théâtre. C’est à peu près vers ce temps qu’il dut préparer sa première entreprise dramatique et rêver de son Illustre-Théâtre. Son père consentit à lui faire une avance d’hoirie de 630 livres, en échange de laquelle Molière, sans abandonner le titre, rétrocédait à son cadet, Jean Pocquelin, la charge de tapissier valet de chambre; mais le principal secours lui vint de Marie Hervé, mère des Béjart, qui cautionna le bail du « jeu de paume dit des Métayers, » où la troupe allait dresser la scène de ses représentations. C’était à l’endroit, dit-on, où s’étend aujourd’hui la longue cour de l’Institut. On a conjecturé que la troupe de l’Illustre-Théâtre avait d’abord été, d’après La Grange, une troupe ou