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fond d’azur et chevron d’or, gerbes de même et rocher d’argent, il n’en aurait coûté que 20 livres aux Pocquelin. Mais il y a deux branches de la famille Pocquelin, ou plutôt, à ce qu’il semble, puisque ces deux branches d’une même famille n’ont jamais eu de relations entre elles, il y a deux familles Pocquelin. Parce qu’Armande Béjart, veuve de Molière, prit et porta les armoiries des Pocquelin, ce n’est peut-être pas à dire qu’elle y eût légalement droit. En tout cas, Jean Pocquelin, père de Molière, ne les porta jamais et se contenta d’être, toute sa vie, de vieille, bonne et riche bourgeoisie. Tapissier de son métier, il acquit en 1631, de Nicolas Pocquelin, son frère, une charge dans la maison du roi. Les actes le qualifient tantôt « maître tapissier et tapissier ordinaire de la maison du roi, » tantôt « tapissier et valet de chambre ordinaire du roi. » J’ignore si ces variantes sont de pure forme ou si par hasard elles indiqueraient quelque diversité de fonctions. Quoi qu’il en soit, les derniers biographes insistent avec raison sur l’importance relative d’une charge qui conférait, sinon la noblesse et le titre d’écuyer, comme on l’a dit sans en donner des preuves qui soient sûres, tout au moins le privilège alors tant envié des approches du prince. En effet, ce pouvait être vraiment une manière de personnage qu’un valet de chambre du roi dans un temps où des gens de race, des gens de qualité, pour prendre pied dans la cour, n’hésitaient pas à payer chèrement telle charge de bas officier, comme de « piqueur du vol pour corneilles, » ou de « garçon de lévriers, » si humble, qu’il fallait que Louis XIV, plus soucieux de leur dignité qu’ils ne l’étaient eux-mêmes, leur fît enjoindre de résigner. Il était donc naturel qu’on vécût largement dans cette « maison des Cinges » sur l’emplacement de laquelle s’élève la maison qui porte désormais la plaque commémorative de la naissance de Molière. On peut en juger par l’inventaire qui fut dressé lors du décès de la mère de Molière. La seule prisée des « bagues, joyaux et vaisselle d’argent » n’y monte pas à moins de 2,000 et quelque 300 livres, qui font environ 11,000 ou 12,000 francs d’aujourd’hui[1]. » Cette aisance bourgeoise était presque du luxe, un luxe discret, commode et solide. La chambre à coucher, tendue tout entière de tapisserie façon de Rouen, garnie de beaux et bons meubles, ornée de tableaux et d’un miroir de glace de Venise, — nous avons là, comme sauvée de la destruction,

  1. On remarquera, comme renseignement pour servir de terme de comparaison, que dans l’inventaire de Madeleine Béjart, qui cependant laisse à sa mort près de 35,000 livres et qu’on pourrait croire, en qualité d’actrice, bien pourvue de bijoux, la même prisée de bagues, joyaux et vaisselle d’argent ne s’élève qu’à 1,175 livres, soit entre 6,000 et 7,000 francs.