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dévots ; le culte que nous lui rendons deviendra bientôt, si nous n’y prenons garde, intolérant comme une superstition ; quelqu’un l’a bien dit, il est vraiment en train de « passer dieu. »

Dans ce moment même, il n’y a pas moins de trois grandes éditions de ses œuvres en cours de publication. Deux des trois ne sont guère qu’éditions de luxe, bonnes pour la reliure et l’ornement des bibliothèques ; la troisième, qui fait partie de la belle collection des Grands Écrivains de la France, s’annonçait déjà comme l’édition critique et définitive, l’édition qui fait date et loi dans l’histoire d’un texte, quand la mort de l’éditeur est venue brusquement l’interrompre. Il ne sera pas facile de remplacer dans sa tâche délicate l’un des hommes de France qui savait le mieux son XVII e siècle. Il y avait surtout dans l’érudition d’Eugène Despois, en même temps qu’une abondance et une précision de détails singulière, cette discrétion dans le choix, si rare, et cette liberté, si difficile, dans l’emploi des matériaux, qui dénoncent l’écrivain de race. Il ne fut pas de ces érudits qui vont à l’aventure, au hasard de la découverte, qui s’égarent et ne se retrouvent plus dans la foule de leurs documens, comme si de ces archives et de ces parchemins jaunis qu’ils fouillent avec une louable opiniâtreté je ne sais quelle poussière s’élevait qui les aveuglât : il composait et, jusque dans une notice bibliographique, il avait l’art de mettre l’agrément littéraire.

Si maintenant à ces éditions nouvelles de Molière on voulait joindre l’énumération de tous les recueils de pièces authentiques, articles, dissertations et gros livres publiés sur sa vie depuis quelques années, ce serait tout un long travail. Aussi bien a-t-il été fait par M. Paul Lacroix dans sa Bibliographie moliéresque. Les curieux trouveront là, décrites avec beaucoup de soin, toutes les éditions connues de Molière, depuis les Précieuses ridicules de 1660 jusqu’aux éditions illustrées de nos jours ; une liste amusante, et même instructive, des principales imitations ou traductions de ses comédies dans toutes les langues de l’Europe : Γεόργιος Δαντίνος, ὁ ἐντροπιάσμενος σύζυγος, jusqu’en tchèque et jusqu’en magyar, — le catalogue très complet enfin des moindres publications relatives à Molière, sans en excepter telle brochure sur la Science du droit dans ses Comédies, ou telle autre, plus bizarre encore, sur ses Calembours. Il y manque cependant quelque chose. En effet, Molière n’a pas également bien inspiré tous ceux qu’a tentés son histoire, et puis cette histoire elle-même a son histoire. La liberté des mœurs du théâtre invite les biographes à l’anecdote. Quand ils ne peuvent pas illuminer l’existence du comédien d’une sorte de poésie du désordre et de l’aventure, ils y veulent au moins introduire le