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ils racontaient que le Panthéon, la grande citadelle de l’insurrection, avait été pris par les Versaillais avant que l’on ait eu le temps de le faire sauter, — que Millière avait été fusillé, et que les troupes françaises occupaient la prison de la Santé. Le cercle qui bientôt allait enfermer les fédérés du XIIIe arrondissement se resserrait de plus en plus ; fallait-il fuir ? fallait-il résister encore ? Bien des gardes nationaux s’esquivèrent. Serizier se démenait et criait : — Il faut tout brûler ! — Il entra chez un marchand de vin et but coup sur coup plusieurs verres d’eau-de-vie. Sa nature de loup-cervier, excitée par l’alcool, par la défaite, par la bataille, par la vue du sang qui rougissait les pavés, apparut dans toute sa hideur. — Ah ! c’est comme ça, disait-il en frappant du poing sur le comptoir d’étain ; eh bien ! il faut que tout le monde crève ! — Il se jeta dans l’avenue : — Allons ! allons ! des hommes de bonne volonté pour casser la tête aux curés ! — Quelques fédérés accoururent ; à la tête de la bande, on vit se présenter deux femmes ; l’une d’elles dit à Serizier : — Mets donc mon fusil au cran de repos, j’ai pas la force. — Là, comme dans toutes les tueries de la dernière heure, les femmes donnèrent l’exemple. Pendant ces tièdes journées de mai, au renouveau, la femme, — la femelle, — exerça sur les mâles une influence extraordinaire. Vêtue du court jupon dégageant les jambes, le petit képi ou le bonnet hongrois campé sur l’oreille, serrée dans la veste ajustée qui la faisait valoir, elle se promenait hardiment au milieu des combattans comme une promesse, comme une récompense ; échauffée par cette vie anormale, se rappelant les actrices qu’elle avait vues galoper au cirque sur des chevaux empanachés, flore de son uniforme, de son fusil, elle surpassa l’homme en bravades extravagantes, lui fit honte de ne pas savoir assez bien tuer et l’entraîna à d’épouvantables crimes dont son tempérament nerveux la rendait peut-être irresponsable : énergie factice et morbide qui se brisait parfois tout à coup ; celles qui avaient été les plus violentes, les plus intrépides, qui derrière les barricades avaient fait des prodiges de courage, lorsqu’elles se voyaient face à face avec un de nos soldats armé, se laissaient tomber et, les mains jointes, criaient : « Ne me tue pas ! »

Serizier félicita les deux « héroïnes, » ramassa ses fédérés, les étagea le long de l’avenue d’Italie auprès de la prison disciplinaire, fit venir son ami Bobèche et causa quelque temps avec lui. Il était alors environ quatre heures, tout l’horizon occidental de Paris disparaissait derrière la fumée des incendies, partout la canonnade était si brutale que la terre tremblait ; la ville entière n’était qu’un horrible champ de bataille. — Y êtes-vous ? — s’écria Serizier. Une des femmes armées, placée à ses côtés, répondit : — Oui, pas un n’échappera !