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qui sont détenus en cette prison, si les insurgés versaillais ont l’audace de l’attaquer et de vouloir la prendre. Le délégué, TH. FERRE. — Il donna reçu, puis sans mot dire tendit la dépêche à M. Laloë. — Que ferez-vous ? demanda celui-ci. — Sans répondre, Caullet leva les épaules. Alors les trois greffiers, MM. Laloë, Peretti, Tixier, l’entourèrent et lui dirent tout ce que des hommes droits, honnêtes, tout ce que des gens de bien peuvent imaginer pour éloigner un pareil forfait. L’âme de Caullet flottait entre le désir, la volonté de sauver les otages et la crainte que lui inspirait celui qui avait signé l’ordre du massacre. Pour le décider, on insinua doucement que les troupes françaises étaient dans Paris, que c’était folie de croire que les fédérés pourraient leur résister, que la justice serait implacable pour les prévaricateurs, que, lui, il n’avait que des peccadilles à se reprocher, qu’il ne devait à aucun prix se fermer toute voie de salut, et que du reste M. Claude, prévenu de son bon vouloir pour les otages, sachant qu’il lui devrait la vie, saurait le défendre et au besoin le protéger. Il n’en fallait pas tant pour convaincre un homme déjà convaincu, et Caullet jura : « Il ne tombera pas un cheveu de leur tête ! » Le brigadier Adam fut prévenu par un des greffiers et dit ce mot profond : « Pourvu qu’il ne boive pas trop ! »

Les greffiers et les surveillans ne doutaient pas de la résolution sincère de Caullet, mais ils connaissaient sa faiblesse ; ils convinrent entre eux de le garder pour ainsi dire à vue et de ne jamais le laisser seul avec les envoyés de la préfecture de police ou du IXe secteur. Il n’y avait pas une heure que l’ordre de Ferré avait été reçu, lorsque le commandant Cayols arriva de la part de Serizier. Brusquement il dit à Caullet, que l’on avait retenu à causer dans le greffe : « Peut-on compter sur ton personnel ? — Oui, il est dévoué. — As-tu reçu l’ordre de fusiller tous les mouchards que tu as en otages ? — Oui. — Quand leur feras-tu casser la tête ? — Un greffier intervint et répondit : — L’ordre est éventuel, nous ferons le nécessaire. » Cayols fut satisfait et s’éloigna ; avant de partir, il dit à Caullet : « Veux-tu que je t’envoie des hommes ? — Caullet riposta fort tranquillement : — Ah ! c’est bien inutile ; la compagnie qui est de service à la porte d’entrée me fournira plus d’hommes qu’il ne m’en faut. » Lorsque Cayols fut parti, Caullet, répondant à sa pensée intime, dit à haute voix : « Non ! non ! on ne les fusillera pas ici ; si on veut les fusiller, on les emmènera dans une autre prison. J’ai été soldat, je ne suis pas un misérable ; non, je ne les laisserai pas fusiller. » Il était fort animé ; sa résolution de sauver les otages était prise et ne vacilla plus.

Sans savoir exactement ce qui se passait, les otages étaient dans l’inquiétude ; ils sentaient instinctivement que le dénoûment approchait ;