Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

projet généreux, mais plein de périls. Quelques soins que l’on pût prendre, l’évasion d’un otage aussi important que le chef de la sûreté aurait été promptement connue du directeur d’abord et ensuite de Raoul Rigault. Ce qu’il en serait advenu ne faisait doute pour personne : les greffiers, les surveillans auraient immédiatement été incarcérés et peut-être traduits devant la cour martiale qui jugeait les crimes de haute trahison contre la commune ; ensuite on eût redoublé de brutalité envers les otages, et leur vie eût été perpétuellement en danger, car on les eût livrés à la garde des fédérés. On s’abstint donc de mettre secrètement M. Claude en liberté, et c’est peut-être à cette sage détermination que les otages de la Santé ont dû de ne point périr. M. Claude ne recevait pas seulement les visites de Caullet et de « la société » de celui-ci ; il en eut de plus désagréables. Dans la nuit du 4 au 5 mai, la porte de sa cellule fut brusquement ouverte ; il se jeta à bas de sa couchette et se trouva en présence d’un gros, grand, épais garçon, chaussé de bottes à l’écuyère et galonné sur toutes les coutures. C’était Chardon, le colonel Chardon, commandant militaire de la préfecture de police depuis la mort du général Duval, dont il avait été l’aide-de-camp. Deux officiers et deux soldats tenant des torches l’accompagnaient. Il interpella M. Claude avec une excessive grossièreté : — Eh bien ! vieille canaille, tu en as assez mis dedans, t’y voilà à ton tour, et je n’en suis pas fâché. — M. Claude répondit : — Je n’ai jamais fait exécuter que les mandats de justice, et, à moins d’une erreur, comme le plus honnête homme peut en commettre, je n’ai jamais arrêté que des malfaiteurs. — À ce mot. Chardon pâlit, il se frappa la poitrine de la main, comme s’il eût voulu se désigner lui-même, mais il retint une parole près de s’échapper. Il regarda M. Claude pendant un instant et se mit à rire : — Tout cela, mon vieux, n’empêchera pas qu’on te lavera la tête avec du plomb ! — Il sortit, fermant la porte avec fracas. M. Claude, laissé seul, évoqua ses souvenirs et se rappela qu’en exécution d’un jugement du tribunal correctionnel, il avait eu à faire écrouer un ouvrier chaudronnier qui avait commis un vol peu important dans les ateliers du chemin de fer d’Orléans. Le colonel Chardon n’était autre que ce chaudronnier peu scrupuleux. C’était du reste un homme dans lequel on pouvait avoir confiance ; au mois d’avril, il avait été passer quelques jours à Genève et en avait rapporté vingt passeports suisses qui plus tard ne furent point inutiles à ses amis.

Le 13 mai, une grosse fournée d’otages fut amenée à la Santé : 47 gendarmes, occupant la caserne des Minimes, avaient, le 18 mars, énergiquement refusé de se rendre, et encore plus de faire cause commune avec l’insurrection. Depuis ce temps, un poste de fédérés était établi près d’eux, des sentinelles surveillaient les