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prie de me donner son nom et son adresse, si vous les connaissez… »

Le 10 mai, on écroua à Saint-Lazare une fille Clémence B…, forte, blonde et mafflue, qui connaissait bien la maison et pour cause. Le 8, passant près de l’église Saint-Laurent, elle s’était arrêtée à regarder les ossemens étalés devant le portail, sur lequel on avait écrit : Écurie à louer. Un fédéré veillait sur ces restes d’un autre siècle et criait : « voilà les victimes de la lubricité des prêtres ! » Clémence B… éclata de rire et dit : « Faut-il être bête pour croire à des bêtises pareilles ! » Mal lui en prit. Elle fut immédiatement arrêtée, conduite chez un commissaire de police qui lui dit : « Si vous étiez tant seulement un homme, je vous ferais fusiller, » expédiée à la permanence, écrouée au dépôt et transportée a Saint-Lazare : réactionnaire, insultes à la garde nationale ! En effet, c’était à ce moment que l’on avait fouillé les vieux ossuaires des églises qui avaient servi de lieux de sépulture, nul ne l’ignore, jusqu’au jour où le parlement, s’inquiétant de la salubrité publique, rendit l’arrêt prohibitif du 21 mai 1765. Le plus jeune des squelettes trouvés à Saint-Laurent, à Notre-Dame-des-Victoires et ailleurs, avait donc au moins cent ans ; il fallait être aveugle ou stupide pour ne point le reconnaître. On y mit tout ce que l’on avait de mauvaise foi ; ces débris humains devinrent les restes de jeunes filles entraînées par les prêtres dans les églises, étranglées ou condamnées à mourir de faim dans l’in-pace, après avoir assouvi des passions dévergondées ; on vendit à grands cris dans les rues un canard à gravure représentant les cadavres enfermés dans la crypte : « La voyez-vous, cette scène horrible, ces jeunes femmes, ces jeunes filles, attirées par des promesses ou l’espoir du plaisir, qui se réveillent ici liées, scellées, murées vives !… Le prêtre a travaillé seuil à son aise ! dans les ténèbres ! ici le catholicisme est à l’œuvre ! contemplez-le !… » Le Journal officiel n’hésita pas à apprendre urbi et orbi l’épouvantable découverte d’où résultait la certitude que le clergé français, que le clergé catholique n’était qu’un ramassis de malandrins, d’assassins et de sadistes. Un certain Leroudier, qui signe « pour la municipalité, » publie deux longs rapports sur la recherche des crimes commis à l’église Saint-Laurent, dont nous nous contenterons de reproduire la conclusion ; elle est aussi claire qu’ingénieuse. « Et toi, peuple de Paris, peuple intelligent, brave et sympathique, viens en foule contempler ce que deviennent tes femmes et tes filles aux mains de ces infâmes… Ah ! si ta colère n’éclate pas, si tes yeux ne flamboient, si tes mains ne se crispent, fais alors comme Charles-Quint, couche-toi vivant dans ton cercueil. Mais non, tu comprendras, tu te lèveras comme Lazare ! tu couronneras la femme des rayons de l’intelligence, sans quoi point de salut pour le monde ! Surtout tu feras bonne garde