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M. Claude avec cordialité et lui dit : — Pourquoi ne resteriez-vous pas avec nous et ne serviriez-vous pas le nouveau gouvernement populaire que Paris vient d’acclamer ? — M. Claude fit simplement un geste de refus. Duval lui prit familièrement le bras et l’entraîna dans la chambre à coucher, qui ouvrait directement sur le cabinet. Là ils étaient seuls. Duval renouvela ses offres. — Nous avons besoin de vous plus que de tout autre ; nous ne nous faisons pas d’illusions, nous savons que les hommes pratiques et les administrateurs nous manquent. Vous pouvez nous être utile, joignez-vous à nous, et vous n’aurez pas à vous en repentir. — M. Claude répondit : — Ce que vous me demandez est impossible ; si j’hésitais seulement à repousser votre proposition, vous me mépriseriez, et je ne m’estimerais guère ; vous ne pourriez avoir confiance en moi, si je consentais à servir un gouvernement que j’aurais voulu combattre. — Duval dit : — C’est bien ! Où désirez-vous que l’on vous conduise ? — Mais, chez moi, répliqua M. Claude. — Cela ne se peut ; vous êtes prisonnier : si vous n’avez pas de goût pour une prison plutôt que pour une autre, on va vous diriger sur la Santé. — Soit, répondit M. Claude ; mais les rues de Paris me paraissent dangereuses pour moi, et je vous prie de me faire conduire en voiture.

Cinq minutes après, M. Claude et un de ses garçons de bureau nommé Morin, arrêté « par-dessus le marché, » montaient dans un fiacre, place Dauphine, escortés d’un nombre suffisant de fédérés ; à ce moment, un des officiers de Duval accourut, fit descendre M. Claude, et à voix basse le sollicita de nouveau de ne pas rejeter les offres qui lui étaient faites. Le refus de l’honnête homme fut catégorique ; l’officier lui dit alors : — Ne vous en prenez donc qu’à vous-même de ce qui pourra vous arriver ! — Cette menace date du 20 mars ; elle semble prouver que dès cette époque on se proposait d’être au besoin « carrément révolutionnaire. » En arrivant à la prison de la Santé, on fut obligé de ralentir le train de la voiture pour passer au milieu d’un groupe de cent individus environ qui surveillaient la porte d’entrée afin d’empêcher l’évasion du général Chanzy. Lorsque ces gardiens volontaires et débraillés eurent appris que le prisonnier n’était autre que le fameux chef de la sûreté, qu’ils connaissaient sans doute autrement que de réputation, ils s’élancèrent vers le fiacre en criant : « À mort, à mort le roussin ! » Heureusement la grille, rapidement ouverte, permit à la voiture de pénétrer dans la cour ; M. Claude fut écroué et placé dans une des cellules du rez-de-chaussée. C’était alors un homme de soixante-sept ans, petit, trapu, solide, très actif ; ses cheveux blancs, son visage sévèrement rasé, lui donnaient l’apparence d’un vieux notaire ; ses yeux bleus très mobiles avaient une singulière