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la barbe mal tenue, qui avait toujours son chassepot sur l’épaule gauche ; quand il parlait, à chaque phrase il prenait son chassepot, vous tenait en joue, et, quand la phrase était finie, il remettait son chassepot sur l’épaule. » — On pourrait croire que le général Cremer a un peu chargé le tableau : on se tromperait, il n’a dit que l’exacte vérité ; nous en trouvons la preuve dans un mémoire inédit, écrit par un des membres même du comité central qui signa l’ordre d’élargissement du général Chanzy. Voici en quels termes, presque identiques, il rend compte de la première séance : « Après vérification des pouvoirs dont nous étions munis, nous fûmes introduits. Non, jamais je n’oublierai le spectacle qui s’offrit à ma vue lorsque j’eus franchi le seuil de la salle qui venait de s’ouvrir devant nous. Qu’on se figure, assis autour d’une longue table, des hommes à la tenue débraillée, aux manières communes, sales, hâves, ébouriffés, parlant tous en même temps avec des gestes furibonds et paraissant toujours prêts à se jeter les uns sur les autres. Et quel langage ! quelles expressions ! quel cynisme ! C’était à croire que tous les personnages de Gallot étaient descendus de leurs cadres et faisaient ripaille ce jour-là à l’Hôtel de Ville. » Le général Chanzy dut emporter une singulière impression du gouvernement qu’une série de faiblesses et de violences venait d’infliger à Paris. Il put sortir libre de cette assemblée grotesque où l’on entendait plus de hoquets que de raisonnemens ; il ne se sentait plus en sécurité à Paris et se savait utile ailleurs ; il partit donc à pied, sans plus tarder, et arriva à Versailles le matin même du jour où Paris insurgé allait procéder aux élections des membres de la commune[1].


II. — LES DÉTENUS.

Un personnage moins illustre que le général Chanzy, mais qui jouissait dans Paris d’une grande notoriété, M. Claude, chef du service de sûreté à la préfecture de police, fut amené le 20 mars à la prison de la Santé. Ce jour-là, vers dix heures du matin, il traversait la cour du Palais de Justice : il fut reconnu par un garçon de salle qui le désigna à des fédérés ; ceux-ci l’arrêtèrent et le conduisirent chez le général Duval. M. Claude fut introduit dans le cabinet du préfet, qu’il connaissait bien. Le général, très galonné, y trônait au milieu de plusieurs individus armés. Duval accueillit

  1. M. L’amiral Saisset a dit que, dans l’acte de délivrance du général Chanzy, l’intervention de MM. Cremer et Aronssohn n’avait point été désintéressée. C’est là un incident dont nous avons cru devoir ne point parler, car aucun des documens qui ont passé sous nos yeux ne se rapporte aux faits très graves relatés dans la déposition de l’amiral Saisset (Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars., tome II, p. 311 à 319).