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Caullet avait été ouvrier mécanicien, homme de peine et portier dans la maison Cail ; c’est sans doute cette dernière qualité qui avait fait imaginer qu’il possédait les aptitudes d’un directeur de prison. Caullet était par bonheur un homme simplement faible, sans perversité aucune, se laissant volontiers diriger, ne comprenant rien à la paperasserie administrative et qui, bien conseillé, adoucit, autant qu’il fut en son pouvoir, le sort des otages qu’il eut à garder. Quoiqu’il fût le chef, le maître de la prison, il éprouvait une sorte de timidité en face de ses greffiers ; il leur sentait une instruction qu’il n’avait pas, et malgré lui, il les respectait, les écoutait et finissait presque toujours par suivre leurs avis. Grâce à cela et à son caractère débile, incapable d’un effort énergique, grâce à l’intelligence des greffiers, au dévoûment sagace des surveillans, les désastres de la dernière heure ont été évités.

Cependant les amis du général Chanzy ne perdaient point leur temps ; ils renouvelaient leurs démarches, car ils savaient que les élections pour la commune étaient prochaines, et redoutaient de se trouver en présence d’un nouveau gouvernement qui s’annonçait comme devant être ultra-révolutionnaire et terroriste. L’attitude que le délégué civil à la préfecture de police, Raoul Rigault, avait déjà prise permettait d’augurer dans quelle ère de froide cruauté on allait entrer. Le général Chanzy recevait souvent la visite du vieux Beslay, qui lui recommandait d’avoir bon courage ; il n’en était pas besoin, le général Chanzy n’en manqua pas, il fut impassible et d’une énergie que rien n’émoussa : soit qu’il fût dans sa cellule, soit qu’il se promenât dans l’étroit préau sous la surveillance immédiate de deux fédérés marchant à ses côtés, la baïonnette au bout du fusil, il se montra là tel qu’on l’avait vu dans la dure campagne de France, un homme d’une trempe fine et serrée, inaccessible à tout sentiment de faiblesse et supérieur aux événemens. Il attendait stoïquement l’heure de sa délivrance, qui sonna enfin le 25 mars. Le général Cremer obtint du comité central un ordre ainsi conçu : Le citoyen Duval mettra immédiatement le général Chanzy en liberté. — Signé : A. BILLIORAY, BABIECK, A. BOUIT, A. DUCAMP, LAVALETTE. — Babieck conduisit lui-même le général Cremer chez Duval, car on craignait que celui-ci ne fît encore quelque difficulté ou que Raoul Rigault n’intervînt d’une façon périlleuse. Duval s’exécuta de bonne grâce et écrivit : Ordre de mettre en liberté immédiate le citoyen Chanzy, sur la simple observation du général Cremer, il ajouta : et Langourian. Babieck, qui signait volontiers ses lettres : Enfant du règne de Dieu et parfumeur, qui était un