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du peuple… la souveraineté du peuple… » C’était convaincant : on s’éloigna ; mais le poste des fédérés, tout un bataillon, qui gardait la porte d’entrée, envoya des sentinelles qui devaient faire faction devant les cellules de ceux que cette foule appelait déjà des « otages. »

Que l’on se rappelle la motion adoptée le 24 février et qui servit de prétexte à la fédération de la garde nationale, que l’on se répète le serment prononcé de s’opposer par la force à l’entrée des Prussiens dans Paris, et l’on comprendra que de tous ces beaux projets de guerre à outrance il ne restait plus un vestige. En effet, s’il eût subsisté quelque trace de patriotisme dans le cœur de ce troupeau d’insurgés, c’est en triomphe que-l’on aurait dû porter le général Chanzy, car il avait été héroïque sur la Loire, et, quoiqu’il n’eût pas réussi à sauver la France, il avait du moins sauvé l’honneur de nos armes. Mais les bataillons du comité central et les gens de la commune se souciaient bien de cela, en vérité ; ils voulaient simplement détruire l’armée, la magistrature, le clergé, c’est-à-dire la discipline, la loi, la religion, et c’est pour cela qu’ils arrêtèrent indistinctement les soldats, les magistrats et les prêtres, sur la simple vue du costume. C’est ainsi que le général Langourian avait été arrêté au chemin de fer d’Orléans par hasard, au moment où il se hâtait de se rendre à Versailles afin d’y recevoir sa brigade qui venait de Bordeaux. Quant au général Chanzy, il avait été signalé ; on le chercha et on le saisit dans un wagon où il n’essayait guère de se cacher, car il ne pouvait même pas soupçonner, ayant toujours fait au moins son devoir, qu’il pût être décrété d’accusation. Conduit d’abord à la mairie du XIIIe arrondissement au milieu de groupes qui devenaient de plus en plus menaçans, il fut protégé par Léo Meillet, puis déclaré « prisonnier » par le général-ouvrier-fondeur Émile Duval, traîné à la prison disciplinaire du IXe secteur, ramené chez Léo Meillet, repris par la foule et reporté pour ainsi dire à la geôle du secteur. Léo Meillet[1], qui fit de très sincères efforts pour sauver les généraux et leurs officiers, savait bien qu’ils n’étaient point en sûreté dans cette prison rudimentaire, sans grilles ni murailles, que l’on avait tant bien que mal installée boulevard d’Italie ; il voulait donner aux prisonniers la sécurité d’une véritable maison pénitentiaire, et il ordonna de les transférer à la Santé. La voiture où il les fit monter, pour les arracher aux insultes populaires, fut brisée. Tous les curieux accourus devinrent une foule atteinte de frénésie. Au milieu de quelles insultes et de quels

  1. M. Edmond Turquet, député, arrêté en même temps que le général Chanzy, fut sauvé par Léo Meillet ; après la défaite de la commune, M. Turquet n’oublia pas le service qui lui avait été rendu ; il donna asile à Léo Meillet et lui procura les moyens de quitter la France.