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Par la lettre d’hier, l’on vous donnait un avis, que l’on réitère encore présentement, de ne (as donner votre argent, si vous n’êtes tout à fait assuré de l’exécution des choses qui vous seront promises, attendu les inconvéniens qui en sont arrivés plusieurs fois et à personnes de connaissances… » Et le 12 octobre : « On vous envoie par ce courrier extraordinaire une explication plus ample et plus particulière de la lettre de change qui vous a été envoyée, adressante au sieur Bouvier[1], parce que l’on a eu peur que, sur les sommes de ladite lettre de crédit, il ne vous donnât pas tout ce dont vous auriez besoin. On a jugé que cette sorte de lettre de crédit était plus sûre et plus commode que celle de lettre de change, y ayant ici peu de banquiers à qui on puisse confier de si grandes sommes. Si pourtant vous étiez d’un autre avis, on suivrait ponctuellement vos ordres quand vous l’aurez mandé. On vous envoie quantité de rubans pour la princesse de Rossano, suivant les avis de M. L’abbé Tinti (ministre du grand-duc de Toscane près la cour de France)… Nous avons ici 80,000 écus argent comptant, entre les mains, et assurés aussi d’encore autant[2]. C’est pourquoi ne vous laissez manquer de rien et tirez hardiment ici sur le correspondant dudit sieur Bouvier, ou autre, et l’on fera tout l’honneur à vos lettres. Je vous répète que, si vous jugez à propos que l’on vous fasse tenir l’argent par lettre de change, on hasardera tout pour le faire. Surtout n’épargnez rien pour faire réussir l’affaire, et en baillant, baillant, car vous connaissez les fourbes du pays… »

Nous glissons sur de nombreux détails relatifs à ces lettres de change, nous bornant à l’essentiel. Les cadeaux se multipliaient. Le 15 octobre, c’était un nouvel envoi de rubans pour la princesse de Rossano, par un courrier extraordinaire, et notez que ces courriers devaient coûter des sommes folles. Le plus piquant, c’est que le coadjuteur, afin que ses lettres ne fussent pas saisies par les partis des princes qui tenaient la campagne, les glissait dans les paquets du nonce, de concert avec lui.

Un jour, Retz, se trouvant en verve et en belle humeur, écrivait à l’abbé, dont les mœurs, paraît-il, étaient tout à fait semblables aux siennes : « Je vous envoie des gants d’Angleterre garnis et des étuis pour présenter à qui vous voudrez, même à quelques-unes de vos maîtresses…[3]. » Puis il ajoutait : « Quand les lettres de change que vous tirerez seraient de 50,000 écus, elles seront promptement et ponctuellement acquittées. C’est pourquoi n’épargnez rien, quand ce ne serait que pour avancer l’affaire d’un quart

  1. Expéditionnaire à la cour de Rome, agent secret du coadjuteur.
  2. En tout environ 3,600,000 francs de nos jours.
  3. Lettre du 7 novembre 1651.