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Barberini, sous leur oncle Urbain VIII, font en quelques années une moisson de 105 millions d’écus d’or (1 milliard 50 millions de livres de l’époque). Le pape eut des scrupules et nomma une commission pour savoir jusqu’à quel point il avait le droit d’enrichir sa famille aux dépens du trésor pontifical. La commission lui répondit qu’étant souverain, il pouvait disposer de ses revenus envers qui bon lui semblait et que ses sujets étaient taillables et corvéables à merci. Sous Innocent X, ce fut bien pis encore. « Les peuples, dit un contemporain, n’ayant plus ni deniers, ni linge, ni matelas, ni ustensiles de cuisine pour satisfaire aux exigences des commissaires, n’ont plus qu’une ressource pour payer les taxes, qui est de se vendre comme esclaves[1]. » A côté de cette extrême misère s’étale un luxe tel que l’antiquité et nos temps modernes ne peuvent en donner aucune idée. Londres et Paris n’offrent pas d’habitations privées qui puissent être comparées, même de loin, à ces palais et à ces villas splendides ornées d’œuvres d’art de tout genre, dont le népotisme des papes a peuplé la ville éternelle et ses environs.

Jean-Baptiste Pamfili, Innocent X, avait signalé les commencemens de son pontificat par des actes de justice et de vigueur qui donnaient lieu d’espérer qu’il voulait couper le mal à la racine. Les cardinaux François et Antoine Barberini, pendant le règne du pape Urbain VIII, leur oncle, avaient pillé et rançonné, en vrais proconsuls romains, l’état pontifical et amassé la fortune colossale dont nous venons de donner le chiffre. Innocent résolut de leur demander compte devant les tribunaux de leur administration financière et de faire rentrer dans le trésor public tant de richesses, qui en avaient été frauduleusement détournées. Ce fut en vain que, pour se soustraire aux poursuites, les deux Barberini se mirent sous la protection de la France et arborèrent ses armes à la porte de leurs palais. Innocent déclara hautement qu’il prêterait main-forte à la justice et qu’il ne renoncerait pas à ses droits, le connétable de Bourbon fût-il aux portes de Rome. Les deux frères prirent la fuite, après avoir mis en sûreté tout ce qu’ils possédaient en argenterie et en pierres précieuses. Aussitôt le pape fit séquestrer leurs palais et leurs villas, luoghi di monti, et ils se virent incessamment sous le coup d’une confiscation. Mais cette ferme conduite d’Innocent ne fut que de peu de durée.

Contarini, l’ambassadeur vénitien, le peint dès 1647 avec toute la liberté que se permettent les gens de sa nation, même à l’égard des papes. Il le montre comme un homme astucieux, indécis et, qui pis est, obstiné dans l’indécision, à moins qu’une violente crainte

  1. Voyage en Italie, par M. Taine.