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les murs, sonder les caves dans l’espoir, dans la certitude de trouver l’introuvable souterrain, c’était de quoi irriter les âmes les plus patientes ; la supérieure tint bon cependant et n’eut point mauvaise contenance devant ces pionniers souvent ivres et toujours obtus ; mais ayant eu à écrire le récit de ce que la communauté avait supporté pendant la commune, et parlant des tranchées ouvertes à coups de pioche dans les sous-sols de la prison, elle ne peut s’empêcher de dire : « C’est vraiment bien extraordinaire ! » Cela dura depuis le 22 mars jusqu’au milieu du mois d’avril ; on comprit enfin, à la préfecture de police, que toutes ces niaiseries prêtaient à rire et qu’il ne fallait pas mêler avec tant de persévérance le ridicule à l’odieux ; un ordre vint mettre fin aux travaux de La Brunière de Médicis : « Le directeur de la prison d’arrêt de Saint-Lazare est autorisé à s’opposer à toute perquisition opérée dans ladite prison, à moins d’exhibition de pièces émanant d’un comité reconnu par la commune. Signé : le chef de la police municipale, A. DUPONT. — Approuvé : le chef de la première division, EDMOND LEVRAULT ; 15 avril 1871. »

On délivrait enfin les sœurs de Marie-Joseph de toutes les mesures inquisitoriales qu’il leur avait fallu subir ; mais à cette date elles allaient bientôt se délivrer elles-mêmes, car la situation n’était plus tenable au milieu des postes de fédérés qui vivaient dans la maison et s’y regardaient beaucoup trop volontiers comme chez eux. Les sœurs ne se dissimulaient pas que leur départ serait pour les détenues de toute catégorie le signal d’une demi-liberté qui serait tout à fait de la licence, mais elles devaient veiller à leur propre salut et elles comprenaient qu’elles n’étaient pas de force à lutter contre les volontés perverses dont elles étaient entourées. Elles s’étaient juré de ne point quitter le costume religieux, qui pour elles est l’uniforme du devoir et le vêtement de la foi. Il fallut donc négocier, obtenir l’autorisation de quitter Saint-Lazare, de quitter Paris, au grand jour, tête haute, comme un bon corps d’armée qui bat en retraite lorsque tout effort est devenu inutile. Ce fut sœur Marie-Éléonore qui se chargea de cette difficile action diplomatique et sut la faire réussir. En invoquant avec habileté les droits de la liberté de conscience et la nécessité de soustraire les religieuses à quelques dangers que l’on pouvait prévoir, elle obtint d’Edmond Levrault l’autorisation de se retirer à Argenteuil avec sa communauté, après toutefois avoir organisé un service laïque dans les différentes sections de la prison. Le laisser-passer fut signé. On le communiqua au surveillant de garde à la porte d’entrée, qui le trouva régulier et promit d’en tenir compte. Le 17 avril, les meubles appartenant aux sœurs, les vases sacrés de la chapelle où pria Saint-Vincent-de-Paul, étaient chargés sur une voiture de déménagement prête à partir,