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plus loyalement à l’égard du coadjuteur qu’il ne l’avait fait à l’égard de l’abbé de La Rivière, l’ancien favori de Gaston d’Orléans, si cruellement joué par lui? C’est ce que nous apprendra la suite de ce récit.

A peine le coadjuteur eut-il entre les mains l’acte de sa nomination que, sans perdre de temps, et dans la crainte qu’elle ne fût brusquement révoquée, il fit partir pour Rome l’abbé Charrier, afin d’y hâter sa promotion par tous les moyens possibles. Cet abbé, qui, d’après une tradition que j’ai recueillie dans sa famille, avait reçu le surnom de Charrier le Diable, était de l’école des Ondedei et des abbés Fouquet, c’est-à-dire un homme sans le moindre scrupule, d’une dextérité et d’une audace surprenantes, passé maître en intrigues, un vrai disciple du coadjuteur, dont il était le bras droit et l’âme damnée. Retz avait dressé ses batteries avec une activité fiévreuse, il avait composé un chiffre des plus compliqués pour correspondre avec l’abbé et mis à sa disposition des sommes considérables pour faire le siège des cardinaux et des grandes dames romaines, qu’il supposait avoir de l’influence jusque dans le consistoire.


II.

Pour avoir la clé des événemens et des intrigues qui vont se dérouler sous les yeux du lecteur, il est indispensable de jeter un rapide coup d’œil sur l’état moral de la cour de Rome à cette époque, de faire connaître les principaux personnages avec lesquels le coadjuteur avait à traiter et quelles étaient leurs dispositions à son égard.

Depuis trois siècles, Rome était en proie à une profonde corruption qu’entretenait sans cesse le népotisme des papes. Sixte-Quint avait donné à un de ses petits-neveux 100,000 écus de bénéfices ecclésiastiques, représentant un million de livres de l’époque, qu’il faudrait multiplier aujourd’hui au moins par six ou par sept. Paul V combla les Borghèse; le cardinal de ce nom eut un revenu de 150,000 écus d’or; Marc-Antoine Borghèse reçut une principauté, et, sans compter de beaux palais à Rome, un million d’écus d’or comptant, c’est-à-dire 60 ou 70 millions de francs de nos jours, ce qui lui permit aisément d’acheter 80 terres dans la seule campagne de Rome. De telles prodigalités augmentent l’appétit des neveux des papes qui succèdent à Paul V. Leur cupidité n’a plus de bornes, et les populations sont foulées jusqu’aux dernières limites de la souffrance. Grégoire XV donne à son neveu le cardinal Ludovisio un revenu de 200,000 écus d’or de bénéfices. Les deux frères