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puisque M. le coadjuteur lui apporte l’extrême-onction en rochet et en camail. » A peine fut-il parti, qu’il fut livré pendant une heure, nous dit-il avec une grâce charmante, « à la raillerie fine de Bautru, à la bouffonnerie de Nogent, à l’enjouement de La Rivière, à la fausse compassion du cardinal et aux éclats de rire de la reine. » Il rentre à l’archevêché la rage dans le cœur, non sans avoir distribué sur son passage force bénédictions. Ne croyez pas pourtant qu’il éclate sur l’heure. Il est trop habile pour ne pas essayer de mettre, à l’égard de ses lecteurs, le bon droit de son côté, en apparence du moins. Il suppose que, dans ce premier moment, il s’enveloppa dans son devoir, bien résolu de ne pas en sortir et qu’il sut résister aux instances de quelques amis qui lui apprirent de quelles railleries cruelles il avait été le jouet au Palais-Royal, où même on l’accusait hautement d’être l’auteur de la sédition, « Je sacrifiai presque sans balancer à mon devoir, nous dit-il en jouant la grandeur d’âme, les idées les plus douces et les plus brillantes que les conjurations passées présentèrent à mon esprit en foule, dès que le mauvais traitement que je recevais, connu et public, me donna lieu de croire que je pouvais entrer avec honneur dans les nouvelles. Je rejetai, par le principe de l’obligation que j’avais à la reine, toutes ces pensées, quoique, à vous dire le vrai, je m’y fusse nourri dès mon enfance. »

Jusqu’ici Retz n’est que bafoué, et ce n’est point un motif suffisant, pour un homme de bien, de se révolter. Il faut plus encore, et voici ce qu’il invente par une ingénieuse mise en scène. Il suppose qu’un de ses amis, M. d’Argenteuil, vient le trouver au milieu de la nuit, et lui annonce que le diable possède le Palais-Royal, qu’on l’y accuse formellement d’être le fauteur de l’insurrection, qu’il est perdu, qu’il doit être conduit sous bonne escorte à Quimper-Corentin, qu’il ne lui reste plus qu’à songer à sa sûreté, que le parlement doit être exilé à Montargis, et que la cour enfin est assez forte pour pendre qui elle voudra.

Voilà donc Retz armé du droit de légitime défense et jusqu’à un certain point justifié. Malheureusement pour lui, il n’y a pas un mot de vrai dans la fin de son récit. Jusqu’alors évidemment, il n’avait pas inspiré assez de crainte à la cour pour qu’elle eût songé un seul instant à lui faire partager le sort de Broussel. Elle s’était contentée de lui lancer quelques épigrammes. Retz, à n’en pas douter, a voulu grossir son rôle ainsi que ses griefs contre la cour. C’est dans sa féconde imagination, et non dans la vérité des faits, qu’il a puisé toutes ses inventions et tous ses argumens pour justifier sa défection. Le disciple de Machiavel, qui a passé sa vie à étudier dans les livres, puis en action avec les Montrésor, les Saint-Hibal et les Varicarville,