Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remplissant scrupuleusement ses devoirs de pasteur et de sujet fidèle. Il savait jusqu’où, s’étendait la faveur de Mazarin, et qu’il lui serait impossible de le déraciner dans le cœur de la reine. C’eût été en pure perte, il ne l’ignorait pas, que pour être nommé cardinal il se fût résigné à des actes de soumission et d’adulation qui ne pouvaient convenir en aucune sorte à son humeur altière. Comment Mazarin, le plus ombrageux des hommes, eût-il pu consentir, de gaîté de cœur, à le voir à ses côtés revêtu de la pourpre? L’espoir de succéder en temps calme à un ministre si habile, si fortement ancré au pouvoir, si jeune encore, qui n’avait que onze ans de plus que lui, ne lui paraissait pas moins chimérique. Ce que Retz ne pouvait donc espérer d’une conduite sans reproche, il se jura de l’arracher tôt ou tard par l’intrigue, par la faction, par la guerre civile. En attendant l’heure des hostilités ouvertes, il s’attacha avec un soin extrême à fonder sourdement sa popularité et à semer la haine et le mépris contre Mazarin. « Rien ne prépare mieux à la diplomatie que la théologie, » a dit M. de Talleyrand, si bon juge en pareille matière, et le coadjuteur, nous le savons, était un docteur émérite en théologie. Personne ne connaissait mieux que lui l’art des cheminemens souterrains pour ruiner un adversaire. De son propre aveu, il n’avait rien négligé pour prendre ses précautions contre le mauvais vouloir du ministre et pour se ménager l’affection de la bourgeoisie et du peuple. En moins de quatre mois, il avait dépensé 36,000 écus en aumônes et en libéralités, c’est-à-dire environ 300,000 francs de nos jours.

Rien de plus captieux que le récit que Retz nous a laissé des deux journées de 1648 et du rôle qu’il y joua; rien de plus habile que les détours par lesquels il fait passer le lecteur afin de l’amener à prendre fait et cause pour lui. Jamais l’art des transitions et des gradations ne fut poussé plus loin. Évidemment, une partie des faits est arrangée à plaisir par l’artificieux historien pour justifier son ingratitude et sa révolte. Sous prétexte d’apaiser la sédition, il se rend au Palais-Royal afin de conseiller à la reine de rendre la liberté à Broussel. D’abord on l’accueille avec hauteur; puis, s’il fallait l’en croire, afin de le compromettre, on fait choix de sa personne pour calmer le peuple par la fausse promesse de la délivrance du prisonnier, et lorsque, à force d’adresse et de supplications, il est parvenu à faire déposer les armes, pour tout remercîment, la reine lui dit : « Allez vous reposer, monsieur, vous avez bien travaillé. » Et tous les courtisans de rire et d’échanger des mots piquans sur cet archevêque in partibus qui, sans caractère suffisant, s’est immiscé dans les affaires publiques. « Il faut que votre majesté soit bien malade, dit Bautru, en se tournant vers la reine,