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face commune, ayant un aplomb que rien ne démontait, se disant le petit-fils d’un des plus laids personnages de la révolution française, il montrait avec complaisance une grosse bague en or qui, disait-il, était un souvenir de son aïeul. Ancien cornet à pistons dans la musique d’un régiment de cavalerie, il. avait, pendant le siège, été chef de fanfare dans un bataillon de la garde nationale ; il chantait assez agréablement et avait même jadis figuré comme choriste sur un de nos théâtres lyriques. Ses connaissances musicales ne lui furent point inutiles après la commune : il put se cacher, comme organiste, dans une chapelle que nous ne nommerons pas pour n’humilier aucun hôpital. Il aimait les couleurs voyantes et devait son surnom au costume écarlate dont il était toujours affublé : bonnet rouge, cravate rouge, vareuse rouge, pantalon rouge, ceinture rouge, d’où sortaient deux crosses menaçantes de revolver ; son sabre traînait derrière lui avec un bruit de ferraille peu rassurant ; il affectait de n’employer que le langage du Père Duchêne et terrifiait les cœurs les plus solides. C’était, il est vrai, un ami de Ferré et son convive assidu à la préfecture de police ; il menaçait de faire fusiller toutes les sœurs, toutes les détenues, tous les surveillans, tous les réactionnaires, tous les bourgeois, tous les versaillais ; il criait si fort que l’on n’entendait que lui. Mais ce Méphisto, dont on parle encore avec épouvante à la prison Saint-Lazare, était un assez bon diable ; sa perpétuelle fureur n’était qu’une grimace, il jouait double jeu. Pendant la période d’investissement, il avait plusieurs fois traversé les lignes allemandes pour porter des lettres en province ; il excellait à franchir des avant-postes, et profita de cette science, naturelle ou acquise, pour servir d’intermédiaire entre Versailles et un membre fort connu de la commune, qui s’offrait, lui cinquième, aux tentatives corruptrices de la réaction. Pour ces expéditions, Méphisto quittait ses loques rouges ; il se déguisait à sa fantaisie, partait dans une voiture que l’on mettait obligeamment à ses ordres, y trouvait sous les coussins une boîte à rigolos qui contenait la correspondance secrète et allait remettre celle-ci, hors des fortifications, à une personne sûre, dans un cabaret connu pour ses bonnes matelotes. La négociation ne put aboutir, car la demande et les offres n’étaient point en proportion ; elle eut cependant pour résultat de permettre à celui qui en avait pris l’initiative de quitter Paris sans encombre après la chute de la commune. Quant à Méphisto, il ne fut même pas inquiété.

Malgré leur solde, qu’ils émargeaient le plus souvent en avance, La Brunière de Médicis et Méphisto se trouvaient quelquefois réduits à la portion congrue : « le sou de poche » manquait pour festoyer un peu. La Brunière, qui était homme de ressources, avait