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conduire chez un marchand devin de la place du Châtelet. Il y passa la journée ; lorsqu’il se souvint de la Sainte-Chapelle, il n’était plus temps de l’atteindre, elle était entourée par les flammes. Trois jours après, Riiat était remis de sa commotion et recevait de Ferré une nouvelle mission de confiance, celle d’incendier l’église Saint-Ambroise ; il en fut empêché par l’arrivée de nos troupes.

À la Conciergerie, tout le personnel de la surveillance était sur pied. Un vieux mur en pierres de taille la séparait du Palais de Justice ; il tint bon, se lézarda, mais ne s’écroula pas ; le danger vint d’autre part. La division cellulaire est munie de préaux réservés à la promenade des détenus ; chacun des ces préaux est une sorte d’allée, resserrée entre deux murs et surmontée d’un toit en madriers couvert d’un revêtement de zinc. Une poutre enflammée tomba sur un de ces toits qui prit feu : à coups de crocs on le démolit, et on l’éteignit ; successivement les toitures flambèrent et furent détruites de la même façon.

Le Palais et la maison de justice sont chauffés par un immense calorifère à eau chaude dont le réservoir fut effondré par l’incendie. Comme au dépôt, ce fut une inondation. Un rapport d’un des employés de la prison dit : « Nous étions submergés ; » on aurait pu ajouter : et affamés, car on n’avait pas de vivres et nul moyen de s’en procurer. La provision de pains expédiée chaque jour par la boulangerie centrale des prisons, installée à Saint-Lazare, n’était point arrivée, car tout chemin était coupé de barricades infranchissables ; on ne pouvait songer à aller chercher quelque nourriture dehors, on était pris dans un demi-cercle de flammes : la seule route qui ne fût pas à l’incendie était le quai de l’Horloge, que la fusillade et les paquets de mitraille balayaient d’un bout à l’autre. On avait donné la liberté de la prison aux individus arrêtés par ordres illégaux, et l’on gardait en cellule les vingt-sept détenus appartenant à la justice que la commune avait oublié de rendre à la civilisation. Les gardiens surveillaient le Palais et se tenaient prêts à se porter au secours de toute partie de la Conciergerie qui serait attaquée par le feu. À deux heures du matin, le 25 mai, ils entendirent frapper précipitamment à la porte d’entrée ; on courut, et après avoir regardé par le judas réglementaire, on ouvrit : c’était un peloton du 69e de ligne. Au premier mot du capitaine : « Et vos otages ? » on put répondre : « Ils sont sauvés ! » Les trente-quatre gendarmes que le courage et l’intelligence de M. Durlin avaient arrachés à la mort furent immédiatement dirigés sur la place du Châtelet, et employés sans retard aux pompes qui combattaient l’incendie du Théâtre-Lyrique.

La maison de justice ne voulut point faillir à son titre ; elle sut garder les prévenus et les condamnés qui lui avaient été confiés.