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interdit de parler du chef de l’état, fût-ce pour témoigner de leur déférence ou pour décliner tout sentiment d’hostilité.

Tout ceci se discute sérieusement, couramment, et en vérité, on nous permettra de le dire, il est assez humiliant de songer que, dix ans après l’empire, des hommes qui ont eux-mêmes protesté plus d’une fois contre la candidature officielle se disposent à reprendre les pratiques de l’empire, — en les exagérant, en faisant mieux ! On ne voit pas que, si ce système de prépotence personnelle, d’intervention directe du chef de l’état, est tout ce qu’il y a de moins constitutionnel, de moins parlementaire, c’est en même temps aussi peu prévoyant, aussi peu conservateur que possible, car enfin, si les 363 de la chambre des députés étaient malgré tout réélus, si, sans être réélus jusqu’au dernier, ils revenaient en assez grand nombre pour rester une majorité, à quoi serait-on arrivée Qu’en serait-il ? Nous ne le recherchons pas. La situation serait probablement délicate, difficile entre M. le président de la république sortant de la lutte avec une autorité à demi ébranlée et une chambre élue en majorité comme une protestation populaire contre la dissolution. Plus l’effort du gouvernement pour conjurer un tel résultat aurait été violent, plus la défaite serait sensible et plus la tension entre les pouvoirs deviendrait périlleuse ; mais qui l’aurait voulu ? Qui aurait préparé cette épreuve, rouvert cette ère inévitable de nouveaux conflits ?

C’est là ce que nous appelons user sans prévoyance une force précieuse, jouer sans nécessité le crédit de M. le président de la république dans des mêlées de partis et compromettre par des abus crians l’influence légitime qu’aucun gouvernement sérieux ne peut abdiquer dans les élections. Il y a une autre institution qui n’est pas moins utile, qui n’est pas moins conservatrice que la présidence et qu’on a peut-être également exposée, c’est le sénat. Le sénat n’a pas été créé pour être une assemblée de combat. Son rôle n’est pas de soutenir des conflits, bien qu’il soit appelé quelquefois à résister. C’est un modérateur, et cette mission de modération, il la remplira avec d’autant plus d’efficacité qu’il restera dans une sphère plus calme, plus impartiale. Il a été, il est vrai, investi de ce droit nouveau et dangereux de concourir par un « avis conforme » à la dissolution de la chambre des députés, et lorsque récemment on lui a demandé cet avis, il ne l’a pas refusé. Au fond, malgré le chiffre relativement assez important de la majorité, le sénat semble avoir voté la dissolution sans enthousiasme. S’il eût été libre, s’il s’était trouvé en présence d’une situation intacte, peut-être aurait-il imité volontiers ces anciens magistrats espagnols qui, en recevant un ordre du roi, répondaient parfois avec un mélange de soumission et d’indépendance : « Reçu avec respect et non exécuté pour le service de votre majesté ! » C’était du moins la disposition intime d’un certain