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celle des localités, ou conserver ce qui nous reste d’esprit public et de sentimens généraux, il faut préserver avec tout le soin possible notre unité administrative et judiciaire. Mais à côté de cette observation satisfaisante sur une partie de nos mœurs publiques, une autre et d’une nature contraire se présente naturellement à l’esprit.

Jamais les dissentimens politiques n’ont été plus vifs, les passions plus excitées ; sont-elles bien sincères ? et dans le fond trouve-t-on les incompatibilités que présentent les apparences ? On s’aperçoit du contraire au moindre contact qui sur un terrain neutre, hors de la mise en scène et en l’absence de témoins, rapproche les hommes qui se font gloire d’appartenir aux camps les plus hostiles. Le libéralisme éclairé et profond des chefs les plus éminens de ce qu’on nomme improprement les hommes de la résistance outrée n’est contesté par aucun de leurs adversaires ; d’un autre côté, quand on voit le leader reconnu des gauches accepter le régime des concordats, voter les budgets dans leur forme actuelle après de vagues promesses de réformes renvoyées à un avenir indéfini, on se demande s’il y a lieu de beaucoup s’inquiéter des opportunistes, voire des intransigeans. Sur tous les grands principes sociaux dont le respect importe plus encore que la forme gouvernementale, une réelle entente existe entre tous ; sans aucun doute il n’y a pas un monarchiste qui ne fût satisfait de vivre dans une république où les bienfaits de l’ordre seraient sauvegardés, comme il n’est pas un républicain qui ne se contentât d’une monarchie qui lui assurerait tous les biens de la liberté. Notre pays, on ne peut vraiment le nier, réalise l’accord théorique des idées fondamentales, bases des sociétés modernes. Il y a plus, et sur le terrain de la pratique même, la divergence est encore plus apparente que réelle.

Un honorable sénateur, dont les travaux ont laissé à nos lecteurs de chers souvenirs, disait en parlant des gauches, avec lesquelles il vit en bonnes relations : « Pourquoi s’inquiéter d’elles, de leurs promesses un peu hardies, de leurs engagemens aventurés ? Elles ne pourront ni ne voudront les tenir, elles feront toujours banqueroute à leurs électeurs. » Le mot, pour être malin et vrai, n’en donne pas moins à penser. Oui, à part quelques utopies dont la réalisation est impossible et invraisemblable, il n’y a pas dans notre société moderne un seul intérêt sérieux lésé, un seul droit compromis, par conséquent une seule grande réforme urgente à accomplir, par conséquent aussi aucun parti ne peut entraîner les masses à la poursuite d’un but certain et défini, justifiant une véritable révolution dans le gouvernement des affaires publiques. Demain à coup sûr ressemblera à hier. Comment donc expliquer nos divisions intestines, ce flux et reflux en sens contraire des massés populaires,