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bonne action. Les otages étaient sauvés : Raoul Rigault ni son délégué ne reparurent ; le lendemain, Ferré fut trop occupé, trop berné au dépôt pour pouvoir se rendre à la maison de justice, et puis ils comptaient tous sur l’incendie.

Ce fut par miracle que le dépôt échappa aux flammes, c’est par miracle que la Conciergerie y a échappé, car elle est accotée au Palais de Justice, son grand guichet est placé précisément sous la salle des Pas-Perdus, et elle est surmontée par la cour de cassation, qui brûlèrent. Elle fut au centre même du foyer et, non sans peine, il est vrai, fut sauvée. Pendant qu’on allumait la vieille préfecture de police, on versait du pétrole dans les chambres du Palais, on en badigeonnait les murs et l’on y préparait un incendie plus terrible cent fois que ceux de 1618 et 1776. Une équipe choisie avec discernement obéissait à un homme désigné par Ferré et qui méritait toute confiance. Nous savons quel était ce misérable, mais nous ignorons ce qu’il est devenu, nous croyons qu’il n’a pas été inquiété pour les faits que nous avons à raconter, et dès lors, nous ne nous sentons pas libre de prononcer son véritable nom. Nous l’appellerons Riiat. Il avait été chef de légion pendant la commune et excellait beaucoup plus aux perquisitions qu’à la bataille : il aimait les costumes voyans, avait réquisitionné son cheval, le harnachement de celui-ci, son képi à sept galons d’or, ses bottes molles et son caban brodé ; il portait avec ostentation un sabre mexicain qu’il avait pris chez un maréchal de France dont, disait-il dans son langage qui sentait la chiourme, « il avait barboté la cambrouse, » c’est-à-dire dévalisé l’appartement. Il aimait Ferré et lui était dévoué ; entre ces deux carnassiers, il y avait affinité élective. Riiat reçut directement les instructions de Ferré, dans la matinée du 24 mai ; il se mit vaillamment à la besogne et dit aux hommes qu’il commandait : Nous allons griller « la boite aux curieux ; » la boîte aux curieux, c’est le Palais de Justice. Il distribua ses incendiaires dans les diverses parties du Palais, à la grand’salle, dans toutes les chambres revêtues de boiseries peintes, vers les greffes bourrés de paperasses, vers la bibliothèque des avocats, aux baraques des costumiers, et ils eurent ordre de ne point ménager les huiles minérales ; pour bouquet, il réservait la Sainte-Chapelle. Lorsque ses instructions eurent été exécutées, Riiat ne voulut laisser à nul autre l’honneur de mettre le feu aux mèches soufrées qui avaient été préparées. Il ne s’aperçut pas que la mèche qu’il allumait trempait dans le pétrole ; la flamme courut avec une rapidité extraordinaire et atteignit un tuyau de gaz qui éclata. Riiat fut renversé évanoui par l’explosion. Ses hommes l’emportèrent ; il revint à lui dans la cour de Mai, les cheveux roussis, les yeux brûlés, le visage écorché et tellement abasourdi que, pour mieux reprendre ses sens, il se fit