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arbre chargé d’amulettes et d’ex-voto. Toutes les superstitions se ressemblent. Nous y trouvâmes aussi les vestiges d’une maison en briques. Les jésuites avaient passé par là, nous devions-nous y attendre. Il n’y a pas, dans les parties les plus inexplorées du continent sud-américain, un point remarquable, un site gracieux, où ils n’aient laissé des traces. A quoi tant d’activité, d’audace et d’intelligence ont-elles pourtant abouti ? Les Missions, leur œuvre de prédilection et où ils avaient fait des prodiges, sont désertes depuis longtemps. Elles retournèrent d’un coup après leur départ à la barbarie primitive. Ici, après deux générations, pas même une tradition vague n’est restée de leurs prédications et de leurs exemples. Au pied de l’arbre où les Indiens venaient faire des évocations au diable, car c’est au génie du mal, au gualichu, qu’ils rendent leurs plus fervens hommages, il fallait que quelques briques couvertes de mousse vinssent nous parler de leurs missionnaires, pour que nous soupçonnions que leur parole avait retenti jusque-là.

Le reste de la campagne ne fut marqué que par un retour offensif des Indiens sur Massallé, où se trouvait en ce moment le commandant Maldonado. Ils essayèrent de l’entourer, comme ils avaient fait pour nous ; mais le commandant Maldonado avait beaucoup de chevaux et peu de patience. Il leur courut dessus. Quand on arriva pour le dégager, les Indiens étaient déjà loin. Ils prirent alors une autre tactique, car ils entendent parfaitement cette guerre et la font avec beaucoup d’intelligence. Ils comprirent qu’ils devaient se hâter de mettre à profit les momens où la ligne de frontière n’était pas encore assise et où les fortins n’étaient pas construits. Ils pénétrèrent de tous les côtés. Une invasion n’attendait pas l’autre. Cette manœuvre ne nous prenait pas au dépourvu ; c’était une épreuve attendue et décisive d’après laquelle on pourrait juger la valeur des dispositions, encore incomplètes, qui avaient été adoptées. L’ancienne frontière, devenue notre arrière-garde, avait été garnie d’un bon cordon de troupes. Ces corps avaient ordre de poursuivre les Indiens à outrance, et de les empêcher de prendre nul repos dans l’espace compris entre les deux lignes. Ce fut fait ponctuellement. Aussi les envahisseurs, quand au retour ils arrivaient à la hauteur de nos positions, ne possédaient-ils plus une seule tête de gros bétail. Tout était resté en chemin. On ne peut pas faire soutenir une pareille allure à des bœufs durant une quarantaine de lieues. Quant aux chevaux, qui supportent mieux une marche rapide, ils arrivaient affamés. C’est alors que les soldats de la ligne avancée entraient en chasse. Les Indiens avaient beau se fractionner en petits groupes, se faufiler de nuit de bas-fonds en bas-fonds, se rendre invisibles, ils laissaient toujours dans la traversée