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souterrain, dans quel dessein ? Dans le dessein évident de renverser la commune ; heureusement le peuple veille, mais il est grand temps d’aviser. — Le comité de salut public avisa et délégua son magistrat le plus sérieux pour voir clair dans ce complot aussi manifeste qu’inquiétant. Le juge d’instruction qui fut chargé de cette difficile mission s’appelait Armand Paulin du Barrai de Montaunard, ou, plus simplement, le citoyen Barral, et était âgé de seize ans et demi. Dans la nuit du 17 au 18 mai, ce jeune polisson, suffisamment accompagné de fédérés, envahit la Conciergerie, dirigea sa perquisition vers le lieu même où les conspirateurs devaient être à l’œuvre, et mit en fuite une bande de rats dont le bruit avait seul produit une si vive impression sur l’imagination du citoyen Bochard. Barral ne fut pas satisfait, et estima que l’on avait gravement compromis, en sa personne, la dignité de la magistrature.

Ces intermèdes comiques n’arrêtaient malheureusement pas l’élan de féroce injustice qui emportait fatalement la commune. Le 18 mai, on reçut à la Conciergerie ordre de se tenir prêt à donner place aux otages qui devaient passer devant le jury d’accusation. Le 19, en effet, cinquante sergens de ville, gendarmes, gardes de Paris, parmi lesquels on reconnaissait le maréchal des logis Geanty, dont nous aurons à parler plus tard, arrivèrent de la Grande-Roquette, où ils étaient détenus, et furent écroués à la maison de justice ; le soir et le lendemain, ils furent reconduits au dépôt des condamnés. Le 20, trente-quatre autres gendarmes furent amenés. Le greffier, M. Durlin, au lieu de les faire incarcérer dans des cellules où, isolés, sans communication possible, ils pouvaient être saisis un à un et enlevés sans même pouvoir faire entendre une protestation, les dirigea sur le quartier des cochers, quartier situé tout au fond de la prison, au bout d’une vaste galerie nommée la rue de Paris et presque perdu au milieu des vieilles constructions embrouillées du Palais de Justice. Là du moins ils étaient ensemble ; c’étaient tous de vieux soldats, ils sauraient bien, le cas échéant, ce qu’ils auraient à faire.

C’étaient, peut-on croire, des prisonniers de choix, car le 22 mai Raoul Rigault vint lui-même, vers quatre heures de l’après-midi, s’assurer qu’ils étaient à la Conciergerie. Les troupes françaises combattaient dans Paris depuis la veille ; le procureur-général de la commune, qui avait reçu à l’Hôtel de ville l’ordre verbal de faire exécuter les otages, voulait être certain que cette belle proie, — trente-quatre gendarmes ! — ne lui échapperait pas. Il fit sans mot dire la constatation, et s’éloigna en disant : « Ce sera pour demain ! » Dans la journée du 23 en effet, à midi, un officier fédéré, suivi d’un peloton qui s’arrêta sur le quai, pénétra dans le greffe ;