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Les prêtres de Picpus furent donc privés de la consolation, grande pour eux, d’entendre la messe, et ils s’accommodaient, tant bien que mal, du séjour de la maison de justice, que les employés s’étudiaient à leur rendre le moins dur possible ; ils n’y restèrent pas longtemps, car le lundi soir, 18 avril, ils furent mis en voiture cellulaire et transférés à Mazas.

On aurait pu croire que Raoul Rigault, Ferré, Protot, et tous les autres pourvoyeurs de geôle avaient momentanément oublié l’existence même de la Conciergerie, car du 13 avril au 19 mai elle ne reçut pas un seul détenu ; en revanche, elle eut à subir deux alertes dont il faut parler, car elles prouvent de quelle bêtise et de quelle niaise crédulité les gens de la commune étaient incurablement atteints. Le 10 mai, Edmond Levrault, qui avait usurpé les fonctions si délicates de chef de la première division de la préfecture de police, vint dans la soirée à la Conciergerie. Accompagné d’un nombreux « état-major, » il visita le cachot Marie-Antoinette, fureta un peu partout et s’arrêta longtemps à regarder à travers les planches mal jointes d’une porte qui fermait un vieux bûcher ; il hocha la tête et prit une note sur son calepin. Le lendemain on fut fort surpris de voir arriver deux officiers fédérés escortés d’un serrurier porteur d’un mandat qui lui enjoignait d’avoir à ouvrir la porte d’un caveau désigné et d’en extraire les cercueils que le citoyen Edmond Levrault y avait lui-même aperçus la veille pendant son inspection. C’était là une bonne aubaine qui ne déplut ni aux greffiers, ni aux surveillans ; ils se groupèrent autour du serrurier et attendirent le résultat de la découverte. On crocheta la porte ; les officiers se précipitèrent dans le caveau funèbre, et, au lieu des cercueils annoncés, trouvèrent un amas de vieilles bûches jetées pêle-mêle et oubliées là par mégarde. La leçon ne profita guère et n’épargna pas à la maison de justice une perquisition encore plus ridicule.

Vers le 14 mai, on avait installé au Palais de Justice un commissaire de police nommé Bochard, qui n’était autre qu’un peintre en bâtimens, âgé de vingt et un ans. Il se hâta de démontrer la candeur de son âge en éventant une grosse conspiration. Son cabinet n’était séparé de la Conciergerie que par une sorte de châssis de forte toile sur laquelle on avait appliqué un papier de tenture. Dès que la nuit était venue, il entendait des bruits étranges derrière cette fragile cloison. Il lui semblait que des gens fouissaient la terre avec précaution, qu’ils parlaient à voix basse et tout à coup s’arrêtaient comme s’ils eussent soupçonné quelque danger ; puis la rumeur recommençait et parfois se prolongeait pendant une partie de la nuit. Promptement il fit un rapport au comité de salut public : la réaction versaillaise s’agite à la Conciergerie ; elle y creuse un