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gardé nationale. Mon cheval était au piquet, tout sellé, à quatre pas. Je n’eus pas le temps de sauter dessus. Ils me garrottèrent. Ah ! si j’avais pu l’enfourcher ! c’était un fameux cheval ! Deux jours après, nous nous battions contre la ligne. C’était la bataille de Naembé, que nous perdîmes. Je fus fait prisonnier et condamné comme rebelle au service des armes pour quatre ans. »

Ce bon Lianès trouvait cela tout simple. Ce n’est pas encore là la manière la plus extra-légale de recruter les régimens. Après tout, Lianès avait été jugé par un conseil de guerre, et c’est le propre des conseils de guerre d’écouter les excellentes raisons par lesquelles des gens pris les armes à la main essaient d’établir la pureté de leurs intentions ; on peut invoquer la raison d’état à propos de son affaire, et, bien que ce soit là en général une mauvaise raison, c’en est au moins une. Ce qui était plus révoltant, c’était de voir il y a quelques années les vengeances de proconsuls de village jeter de pauvres diables, les fers aux pieds, dans une caserne. Une fois revêtu de la casaque, il n’y avait plus à y revenir : tout regret trop vivement exprimé devenait de l’insubordination. Ce fut une mesure d’une grande portée, prise par le président Sarmiento, que celle qui défendit aux chefs de corps de recevoir des destinados d’autres mains que de l’autorité compétente, c’est-à-dire des juges criminels et après une condamnation en forme ; mais cette défense même montre à quel point en étaient venues les choses. Elle a beaucoup fait diminuer le nombre des recrues involontaires qui remontaient l’effectif des bataillons. On a essayé de combattre le déficit au moyen de l’enganche, de l’engagement moyennant finances : il a donné lieu à beaucoup d’abus et de filouteries, comme autrefois chez nous la presse. Il a revêtu de l’uniforme un certain nombre d’étrangers, égarés par des racoleurs en un moment de découragement ou d’ivresse, qui entrent dans l’infanterie parce qu’ils ne savent pas monter à cheval, et dont la surprise est grande quand on leur démontre à coups de plat de sabre qu’un fantassin doit être bon cavalier.

Qu’on ne s’étonne pas trop du moyen de persuasion employé envers eux. Pour tenir en bride et réunir en faisceau des élémens aussi hétérogènes, la discipline était autrefois cruelle ; elle est encore brutale. Il y a peu d’années encore, les peines corporelles étaient fréquentes et accompagnées de raffinemens odieux. Mille, deux mille coups de baguette, ce n’était rien, quoique le patient en mourût parfois. On avait mieux : on avait conservé des supplices étranges qui rappelaient la roue et le chevalet du moyen âge. Des gens doux, des officiers éclairés, les appliquaient avec sang-froid ; j’en ai trouvé qui en regrettaient la suppression, tant est grande la