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habileté de chirurgien, retirent les petits de ses entrailles, comme cet empereur de la légende,

………. Othon, dit le Non-Né,
Parce qu’on l’arracha vers l’an douze cent trente
Du ventre de sa mère Honorate, expirante.


Les jeunes sont ensuite nourris au biberon. Ils deviennent alors familiers comme des chiens. J’ai vu à Trenque-Lauquen, dans la frontière nord, deux de ces lièvres de Patagonie qui, toute la matinée jusqu’à l’heure de la distribution de lait, sautillaient sur les talons du soldat chargé de les soigner. Le mâle savait déjà prendre son lait tout seul ; la femelle avait encore besoin du biberon, et il fallait voir ses colères contre son gardien, contre le mâle et contre tout le monde, lorsqu’on le lui faisait attendre pendant que son compagnon buvait déjà. Les animaux les plus curieux de ces plaines sont trois ou quatre variétés de tatous, la mulita, le mataco, le peludo. Représentans dégénérés des antiques glyptodons, dont quelques-uns mesuraient trois mètres de longueur, ils en ont, dans leur petite taille, gardé la forme et l’allure, qui ne ressemblent à la forme et à l’allure d’aucun autre animal de nos jours ; ils tiennent du hérisson, du porc, du rat et de la tortue. C’est une bête de l’âge tertiaire trottant menu devant vous. Il faut s’empresser de les étudier ; ils vont bientôt disparaître. Inoffensifs et succulens, ils sont rudement pourchassés par les soldats, qui en font une consommation effrayante.

Voilà la nature au milieu de laquelle notre colonne, précédée et flanquée de nombreux éclaireurs, avançait lentement sur deux lignes parallèles, le bataillon d’infanterie d’un côté, le régiment de cavalerie de l’autre. Ils représentaient le même effectif, un peu moins de 300 hommes chacun. Tout le monde était à cheval, bien entendu. A la frontière, l’expression : du temps où l’on allait à pied, correspond à notre : quand la reine Berthe filait, et désigne des âges préhistoriques. Derrière nous marchaient les bœufs, les moutons, la caballada, les chevaux particuliers des officiers, le tout disposé de manière à être immédiatement enfermé entre deux haies de soldats en cas de surprise. Les étapes étaient longues. On se mettait en selle à l’aube, on marchait jusqu’au soir pour faire une trentaine de kilomètres. C’est qu’il fallait ménager les chevaux, les laisser souvent souffler, leur retirer parfois la bride pour qu’ils pussent paître sans rompre les rangs. La frontière ouest était mal montée. Malgré ces précautions, nous laissâmes beaucoup de chevaux en route, et ceux qui arrivèrent étaient harassés. Nous ne chassions guère. Il se présentait pourtant des occasions bien