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C’est d’abord le lion de l’Amérique du Sud, le puma, un lion sans crinière, assez timide, parent éloigné du lion de l’Atlas. La chasse en est peu dangereuse. Il n’y a pas d’exemple qu’un puma ait tenu tête au chasseur. Blessé, il fuit, et on l’achève par derrière à bout portant. Le commandant Acevedo, dont le cheval s’abattit dans une chasse au moment même où il abordait le lion, et qui laissa échapper sa carabine dans la chute, put attendre, debout et désarmé, que son ordonnance lui apportât au galop un revolver, avec lequel il dépêcha la bête, dont il m’a offert la peau. Peut-être les choses se seraient-elles moins bien passées, s’il s’était baissé pour ramasser son arme ou s’il eût reculé. En tout cas, pour un fauve, c’était y mettre de la complaisance. Il est probable qu’il faut chercher dans un vice de conformation l’explication de ce manque de férocité, et ce vice pourrait bien être une certaine faiblesse de l’épine dorsale. J’ai remarqué que les lionceaux sont très difficiles à élever, parce que, dans leurs jeux avec de jeunes chiens, plus turbulens qu’eux, ils finissent régulièrement par se faire casser les reins. Rien n’égale du reste leur gentillesse et leur bon caractère. Ils portent sur leur pelage fauve jusqu’à un certain âge des taches transversales plus sombres, livrée caractéristique de l’espèce féline, qu’ils perdent en grandissant. Vient ensuite un jaguar de grande taille qu’on décore dans la pampa du nom de tigre. C’est un adversaire plus acariâtre et plus redoutable que le lion. Les Indiens et les gauchos l’attaquent néanmoins et généralement le tuent, mais non sans peine, à la lance et au couteau. C’est là une prouesse dont les Européens de passage feront sagement de leur laisser le monopole.

Le gros gibier de poil et de plume n’est point rare. C’est le chevreuil, c’est une variété peu précieuse d’autruche, le ñandu, c’est un lama fauve, le guanaco. Les chasses que leur font les Indiens sont fort belles. Des centaines de cavaliers, formant un cercle de plusieurs lieues, sont chargés de rabattre sur un point central les hôtes effarés de la pampa. On voit ceux-ci accourir en bandes de tous les points de l’horizon, suivis des chasseurs, qui poussent de grands cris et dont les rangs se resserrent de manière à former un corral vivant. Les boules et le couteau font alors leur office. C’est une scène de confusion et de tuerie saisissante. Les boules ne quittent jamais la ceinture de l’Indien ; elles sont son arme de chasse préférée ; elles deviennent au besoin une arme de guerre dangereuse. Qu’on imagine trois petites sphères de densité différente, deux en plomb ou en pierre, une en bois, fixées aux bout de lanières qui sont réunies entre elles par l’autre bout. L’Indien, tenant à la main la boule de bois, fait tournoyer les deux autres autour de sa tête comme une fronde et lance le tout aux pattes de derrière de