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moins qui sont en action, qui vivent de toutes ces industries, et c’est ce monde intéressant que vous allez frapper, ce sont ces industries multiples, dont la plupart font la gloire du pays, l’honneur et la fortune de ce littoral, que vous allez réduire à néant ! Ce que vous voyez, c’est le fisc qui gagne péniblement quelques millions, ce que vous ne voyez pas, c’est la fraude qui lui enlève la moitié de son gain, car la fraude sera toujours plus ingénieuse que le fisc ; puis c’est le pays qui perd, lui, des centaines de millions ; ce sont des industries, hier encore si prospères, qui subitement s’éteignent ou émigrent vers l’étranger. Cela est déjà arrivé en partie pour la fabrication des huiles de graines et du savon. Nous avons vu dès 1872 Savone et Gênes se poser sur ce point en rivales heureuses de Marseille, les gares de leurs chemins de fer encombrées de graines oléagineuses et de soudes. Savone s’est enfin ressouvenue que cette industrie de la saponification faisait sa fortune il y a deux siècles, quand Marseille lui en ravit les secrets qu’elle semblait elle-même avoir perdus. Savone va maintenant rivaliser avec Marseille, comme Marseille rivalisa jadis avec elle. Qui aura fait naître cette lutte, à laquelle l’Italie sans doute ne songeait pas ? Un impôt malheureusement voté en France contre l’industrie savonnière. Est-ce tout ? Non point. Voici Turin qui enlève à son tour à Marseille l’ingénieuse fabrication des allumettes en cire ; Marseille avait le monopole de cette fabrication, qui depuis trente ans donnait un fret très lucratif à sa marine et du pain à de nombreux ouvriers, quand vint le triste impôt voté si légèrement sur les allumettes par l’assemblée nationale française en 1872. Cet impôt a ruiné tout à coup cette industrie, ou plutôt l’a fait passer aux mains de l’état, on sait comment, et l’on sait aussi quelles allumettes nous livre l’état, si inopinément devenu fabricant et chargé de nous approvisionner.

Tout se tient, et, selon le mot si vrai de Jean-Baptiste Say, le fondateur de la science économique en France, « les produits s’échangent contre des produits. » Le commerce n’est qu’un échange. Il ne faut donc toucher que d’une main très délicate à tout ce qui regarde le commerce, surtout lorsqu’il s’agit d’impôts nouveaux. Les choses, dans le monde économique, sont liées les unes aux autres par des fils souvent invisibles, et ces fils cassent subitement quand l’harmonie vient tout à coup à être rompue. Naguère, au moyen de ce qu’on est convenu de nommer les acquits-à-caution ou les admissions temporaires, Marseille pouvait recevoir des blés en franchise, et ces blés, sans qu’aucun transport fût nécessaire, sortir à l’état de farine par les autres ports de France. Il suffisait pour cela d’un endos à l’acquit visé par la douane et que les parties négociaient.