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on distinguait les noms de quelques-uns de nos premiers financiers, s’offrait à construire le chemin de fer de Calais-Marseille, — on l’appelait déjà ainsi, — sans aucune subvention de l’état. Le projet que cette compagnie présentait avait été étudié très mûrement. L’administration a passé outre, comme elle l’avait déjà fait dix ans auparavant à propos d’un projet de chemin de fer non moins bien conçu le long de la rive gauche du Rhône. Pourquoi ces refus répétés ? Parce que, paraît-il, tous ces projets dérangent les combinaisons des grandes compagnies de chemins de fer actuellement existantes. Sans doute les droits de ces compagnies sont hors de cause et ne doivent nullement être sacrifiés à ceux des compagnies nouvelles ; mais il est un point où l’intérêt général devrait primer l’intérêt privé. D’ailleurs ces grandes compagnies elles-mêmes seraient les premières à bénéficier de l’établissement des lignes proposées le jour où celles-ci seraient exécutées. Autour de chaque ligne nouvelle s’établissent comme des affluens allant vers elle et les anciennes lignes ; tout renaît, tout progresse sur le parcours et dans un rayon qui va de plus en plus grandissant. C’est là un phénomène que depuis quarante ans la construction des chemins de fer a rendu familier à tous, en tous pays.

Pour percer enfin l’isthme français, attend-on que le Saint-Gothard soit lui-même percé, que la vallée du Danube soit entièrement ouverte ? N’est-ce point assez déjà du percement du Mont-Cenis, qui détourne une partie des marchandises de Marseille et seconde le port de Gênes et non celui-là, — du percement du Brenner, qui ouvre l’Allemagne tout entière à Venise et à Trieste ? N’est-ce point assez de l’ouverture du canal de Suez, qui est décidément plus favorable à l’Italie qu’à la France ? Si un jour les voyageurs et les marchandises abandonnent l’isthme français, il sera trop tard pour les rappeler, et dès lors la partie sera irrévocablement perdue, quoi que l’on essaie, quoi que l’on fasse. Le commerce met longtemps à adopter des voies nouvelles, parce que son intérêt à cela ne lui apparaît pas toujours clairement ; mais, quand il s’est une fois décidé, il ne revient plus sur ses pas. Déjà une partie des passagers et des colis qui vont de l’extrême Orient en Angleterre ne prennent plus la voie de Marseille. Depuis plusieurs années, la malle des Indes va de Brindisi à Londres par le littoral de l’Adriatique et par l’Allemagne du centre : elle gagne ainsi quelques heures. C’est pourquoi il faut dès à présent ouvrir non-seulement une voie ferrée directe de Marseille à Calais, du golfe de Lyon à la Manche, mais encore une voie d’eau, en endiguant ou mieux en canalisant le Rhône, en approfondissant la rivière supérieure et les canaux qui y aboutissent, ensuite en unissant le fleuve à Marseille