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le canal du Midi, moindre cherté du charbon, à cause du voisinage immédiat des mines de la Grand’Combe, moindre prix de la main-d’œuvre, enfin mille autres bonnes raisons : — tout cela est vrai, répondit le négociant, mais mes bureaux sont à Marseille et non à Cette. — La réponse est péremptoire, et l’on aurait pu ajouter que Marseille, plus que Cette, a des relations avec l’Espagne, et que, si l’Espagne envoie ses plombs à Marseille, ce n’est qu’en retour des produits que ce port lui adresse, sinon il n’y aurait aucun échange.

Montesquieu a dit que « les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses, et que dans ce sens tous les êtres ont leurs lois. » Ici une loi économique a réglé, depuis les commencemens de l’histoire, la suprématie de Marseille sur tous les autres ports environnans. Cette loi a un caractère non moins fatal que toute autre loi de géographie physique, et il est du devoir de tous de s’incliner devant ce qui semble être la volonté de la nature. Politiques, hommes d’état, malgré toute leur puissance et tout leur esprit, ne peuvent rien contre cela. Le port de Marseille vivra encore longtemps dans les conditions où il se trouve, et tous les autres ports français de ce littoral, sauf Cette, iront peut-être en décroissant toujours.

Que si l’on veut faire à tout prix la fortune de ces parages, l’exemple donné par la compagnie des forges de Châtillon et Commentry nous paraît être le seul à suivre. Non contente des usines qu’elle possède dans le centre de la France, elle vient de jeter près de Beaucaire les fondations d’un vaste établissement, qui comprendra des hauts-fourneaux et des aciéries. On y recevra une notable partie, 100,000 tonnes au moins, de l’excellent minerai de fer que l’Algérie produit en si grande abondance, on y fabriquera directement, avec la fonte obtenue de ce minerai, de grandes masses d’acier. Ce dernier métal est devenu aujourd’hui indispensable aux besoins quotidiens de l’industrie et de la guerre, et il a, pour de nombreux usages, remplacé la fonte et le fer. Par ce moyen, non-seulement on fera vivre des centaines d’ouvriers, non-seulement on apportera les millions, le mouvement et la vie dans une région naguère délaissée, somnolente, mais encore on donnera au port de Cette et aux canaux qu’il alimente un nouvel élément de trafic et des plus importans. Les navires qui s’en iront chercher le minerai ne partiront pas à vide ; ils apporteront à l’Algérie de la houille, des métaux ouvrés, des vins, et avec le minerai rapporteront aussi du bétail, des grains, de l’alfa, des fruits. Nous possédons en Algérie 250 lieues ou 1,000 kilomètres de côtes et une étendue de terres considérable ; il faut enfin tirer profit de tout cela, et ce n’est pas trop de Cette et de Marseille pour exploiter cette colonie qui est à nos portes, qui ne demande qu’à nous céder contre les