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c’est à l’ouverture du canal du Languedoc que ce port doit son origine, est le seul, sur tout ce rivage, qui soit en progrès aujourd’hui. C’est un des premiers ports marchands de la France, et son tonnage, pour la grande navigation seulement, c’est-à-dire sans tenir compte du cabotage, dépasse 500,000 tonneaux. Tous les vins de l’Hérault et de l’Aude, nos deux premiers départemens vinicoles, les vins d’Espagne, du Roussillon, tous largement travaillés dans les chais de la place, sont ensuite réexpédiés dans le monde entier. Cette ne doute de rien et reproduit à la fois tous les crus, même les plus célèbres, même ceux qui ont disparu. Voulez-vous du bordeaux, du bourgogne, du Champagne, des vins rouges ou des vins blancs renommés, préférez-vous des vins de liqueur, du madère, du xérès, du chypre ou du malvoisie ? En voici, vous êtes servi à l’instant. Quel que soit le nom, quelle que soit la marqué, Cette reproduit tout, scientifiquement, naïvement, et les enseignes des chais vous l’annoncent : fabrique de tel vin. Au moins tout cela vient-il du raisin, et ces innocentes manipulations chimiques laissent-elles le plus souvent l’estomac en repos : d’autres fabricateurs à l’étranger sont plus coupables, qui font des vins de toute pièce avec de l’eau, des matières colorantes et des alcools de mauvais goût.

L’expédition des vins ne suffit pas à Cette, elle exporte aussi une partie des houilles du Gard, et c’est là encore qu’abordent de préférence les minerais de fer d’Afrique, d’Italie ou d’Espagne destinés aux grandes forges du bassin du Rhône, et une partie des animaux de boucherie adressés à la France des divers points de la Méditerranée. On a voulu enfin établir à Cette des chantiers de construction maritime, mais ce projet n’a pas réussi. En somme, ce port est bien loin d’avoir l’importance de celui de Marseille, soit comme place de commerce, soit comme centre industriel. Les abords en sont d’ailleurs redoutables aux marins. La mer y est souvent furieuse, démontée, comme ils disent, elle roule d’énormes vagues, et soulève les sables du fond qu’elle rejette avec impétuosité sur la plage. On dirait un fleuve en démence, emportant les terres de ses rives avec ses eaux. C’est la mer du lion, mare leonis, disait le vieux chroniqueur Guillaume de Nangis, contemporain de saint Louis. On a essayé d’expliquer à l’aide de cette figure de rhétorique le nom donné par quelques géographes à ce golfe, aux eaux si souvent déchaînées. D’autres écrivent golfe de Lyon, non point à cause de la ville assise au confluent de la Saône et du Rhône et qui est beaucoup trop distante pour avoir concouru à ce baptême, mais parce qu’ils voient là la mer des Ligures, Λιγύων (Liguôn), dont on aurait fait par contraction Lyon[1]. Cette orthographe, la plus vieille, puisqu’on la

  1. Les villes mortes du golfe de Lyon, par Charles Lenthéric, Paris 1876.