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90,000 tonnes, autant que la France tout entière, les huiles de toute sorte, les vins, préparés, coupés, améliorés, alcoolisés, dans des chais rivaux de ceux de Cette, les pâtes et les conserves alimentaires, les machines, les produits chimiques, — au nombre desquels le soufre raffiné, la soude, les acides, — les houilles, souvent chargées comme lest et expédiées sur les divers points de la Méditerranée qui en manquent ; le plomb, qu’on reçoit d’Espagne, qu’on affine, qu’on désargente dans des usines locales, la garance, qui vient d’Avignon, les poteries et produits de céramique, les verres et les cristaux, enfin le sel marin, dont on expédie des quantités notables aux pays du nord, la Suède et la Norvège, qui en retour envoient des bois de pin et de sapin.

On estime aujourd’hui à 2 milliards de francs environ la valeur annuelle de tout le commerce de Marseille, à l’importation et à l’exportation. Une population fixe d’environ 300,000 habitans, dont le chiffre a triplé depuis le commencement du siècle, est tout entière adonnée aux affaires : armateurs, négocians, banquiers, industriels de tout ordre, courtiers, entrepreneurs et agens de transports, peseurs publics, portefaix, charretiers. Tout le monde vend, achète, trafique, tout le monde vit de son travail. Le plaisir, plus que les distractions intellectuelles, sauf quelques heureuses exceptions qu’il est juste de noter, occupe uniquement les loisirs du moderne Phocéen. Une maison de campagne, la bastide, quand elle est au milieu des arbres, le cabanon, quand elle est juchée sur le roc, au bord de la mer, est le refuge qu’il affectionne pendant les chaleurs torrides de l’été. Il s’y livre de grand matin, avec une ardeur que rien ne lasse, à une chasse imaginaire « au poste à feu ou à filet, » ou bien à la pêche, où ses efforts sont un peu mieux récompensés. Avec le poisson se confectionne plus d’un mets indigène, la bouillabaisse, la bouride, épicés, aromatisés, pleins d’ail.

Sur ce coin fortuné de la Provence, sous ce climat qu’assainit le mistral, tout le monde, riche et content, coule une existence aisée et quelque peu nonchalante. Le caractère est jovial, bon, généreux, ouvert ; on vit volontiers en plein air, sur la place publique, comme les anciens. Les mœurs sont restées démocratiques, familières ; mais il faut y signaler, surtout chez les hommes, une certaine rudesse et je ne sais quelle vivacité, quel emportement, dus sans doute au milieu physique dans lequel on gravite, rocailleux, aride et venteux, et à la nature des relations quotidiennes. Les femmes ont plus de douceur et de délicatesse ; elles sont citées pour leur esprit, leur grâce et leur beauté. Le sang grec a laissé en elles des traces ineffaçables. Des yeux et des cheveux noirs, un teint mat, un nez aquilin, un taille élancée, bien prise, les fines attaches des mains et des pieds, distinguent la femme provençale et entre toutes la