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baie profonde, aux eaux toujours paisibles, qui s’enfonce doucement dans les terres, au port du Frioul, fretum Julii[1], artificiellement obtenu au moyen d’une jetée réunissant les îlots de Pomègue et de Ratonneau qui surgissent dans la rade, on a de nos jours ajouté une série de nouveaux bassins, conquis hardiment sur la mer par des fondations hydrauliques. Ces bassins de la Joliette[2], du Lazaret et d’Arenc[3], tous situés au nord du vieux port et se succédant les uns les autres, peuvent en quelque sorte indéfiniment s’étendre. On y a établi d’immenses docks qui couvrent une étendue de 20 hectares, pour la réception et l’entrepôt des marchandises, et où d’ingénieuses dispositions hydrauliques assurent tous les services ; on y a construit des cales sèches, des bassins de radoub, pour la visite et la réparation des navires. Les rails courent le long des quais et vont se marier à ceux de la gare de Saint-Charles, tête de la grande ligne de Paris-Lyon-Méditerranée. Il faudra faire mieux ; il faudra doter ces bassins d’une vraie gare maritime et de toutes les annexes, de tous les mécanismes rapides pour le chargement et le déchargement des vaisseaux, qui sont aujourd’hui indispensables au fonctionnement d’un grand port de commerce. Londres, Liverpool, New-York, offrent pour cela des types que l’on fera bien d’imiter.

Lamartine, dans un élan de lyrisme oratoire, a nommé Marseille « la façade de la France sur la Méditerranée. » Le mot a été volontiers rappelé et mérite de l’être. Parcourir les quais de Marseille, c’est faire à la fois un cours de géographie et d’ethnologie méditerranéenne : tout s’y retrouve, les produits et les gens. Là l’Espagnol des Baléares vient lui-même apporter et vendre ses oranges, le Marocain son cuir, l’Algérien son tabac, le Tunisien ses dattes, l’Arabe son encens ou son café, l’Égyptien ses tapis, le Turc ses confitures, le Grec, l’Italien, les produits variés de l’Hellade ou de la péninsule. C’est comme un immense bazar, une grande foire en plein vent, où chaque traficant apparaît avec son type, son costume, sa langue propre, que dis-je ? une sorte de langue franque à laquelle celle de Smyrne, du Caire ou de Constantinople n’a rien à envier.

Ce n’est pas seulement la Méditerranée qui commence avec Marseille, c’est le monde entier. Promenez-vous le long des quais, et vous y rencontrez par instant le Chinois à la longue queue tombant en tresse sur le dos, le Parsis au bonnet pointu, l’Hindou au cafetan blanc, le nègre à la démarche déhanchée qui s’en va chantonnant un refrain du pays natal, le matelot anglais ou américain à la casquette, aux vêtemens de toile cirée. À cette foule bariolée se mêle

  1. C’est là que César avait sa flotte quand il fit le siège de Marseille.
  2. Encore un souvenir de César.
  3. Arena, sable.