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rapprochés par le hasard sur les marches jonchées de fleurs de la Loggia, où tout à l’heure la voix vibrante de Pascarèl, le bohémien-soldat, s’élevait pour parler à la multitude, dont son éloquence le rend maître, de la patrie et des devoirs qu’elle impose. Il y a là un mélange de sentimens purs, élevés, éternellement vrais, auxquels Ouida fera bien de demander souvent l’inspiration au lieu de la chercher, comme elle l’a fait depuis, dans les cercles frivoles, et amusans du reste, d’Une ville d’hiver.

Une ville d’hiver, c’est encore Florence, à peine déguisée sous le nom de Floralia, mais Florence gâtée par la cohue fashionable qui fait d’elle en certaines saisons, « le Botany-Bay de la société contemporaine. » Les portraits, évidemment d’après nature, qui fourmillent dans ce roman satirique et ultra-mondain sont piquans, surtout pour ceux qui, ayant passé un hiver à Floralia, peuvent donner leurs vrais noms aux ducs français, aux princes russes, aux élégantes cosmopolites désignés par des sobriquets d’un goût douteux. Le vilain monde !

Nous ne doutons pas d’ailleurs que la peinture très crue qui nous en est donnée ne soit ressemblante ; on rencontre cette même aristocratie nomade dans toutes les grandes auberges de l’Europe. Il y a ici des types d’étrangères plus vrais que ne l’est celui de la créature fatale et mystérieuse que M. Alexandre Dumas a choisie pour personnifier l’espèce ; elles laissent fort à désirer sous le rapport du ton et des mœurs, cela va sans dire, et risquent d’être confondues souvent avec les demi-mondaines, méprise qui du reste ne leur déplairait pas. Une seule fait exception, lady Hilda, beauté à la mode qui, tout en menant la même vie extérieure que son entourage, s’en sépare singulièrement par l’élévation de son esprit et par une superbe indifférence qui longtemps s’est étendue à tout, hormis les chevaux, les robes du grand faiseur, le bric-à-brac dont elle nous obsède et son frère, lord Clairvaux, une sorte de centaure court d’esprit, excellent type de gentleman-homme d’écurie. Ouida ne fait pas grâce à ses compatriotes dans cette verte satire. Une autre figure encore se détache sur la foule d’oisifs de tous les pays qui jouent un jeu d’enfer, profanent les campagnes étrusques par leurs bruyans pique-niques, passent la nuit au veglione, soupent au cabaret, exécutent les réputations dans leurs thés de l’après-midi et vont sans scrupule partout ou l’on s’amuse ; c’est celle d’un Italien, le duca della Rocca, descendant d’une illustre famille qu’ont ruinée la guerre et les révolutions ; il ne peut se résigner cependant à redorer son blason au moyen d’une mésalliance, comme les marieuses, qui ne manquent pas dans cette société, lui conseillent de le faire.