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on dit que c’est un jeune Bacchus, mais cette présomption est absurde, — Perséphone peut-être… A mon avis, c’est plutôt une Ariane. Elle ressemble à l’Ariane du Capitole, qu’on a nommée un Bacchus et une Leucothée ; elle a un charme très particulier, le charme d’une grande jeunesse, le charme de la foi, de l’espérance et de l’inspiration. Allez, voyageur, allez la voir où elle est, avec tous ces empereurs de porphyre à têtes bestiales et bouffies qui l’entourent et l’Hercule enfant dans sa peau de lion, devant elle. Vous jugerez que j’ai raison. Seulement c’est Ariane, notez-le bien, avant l’aventure de Naxos.

« Il y a un Bacchus ici, il y en a même plusieurs ; celui de cette galerie des césars cependant est peut-être l’idéal le plus parfait du Dionysos homérique qui soit au monde… Ne le confondez pas avec le Bacchus du vestibule, une plus belle statue peut-être, puisqu’elle est plus célèbre, mais un dieu inférieur, n’en doutez pas ; au fait, il n’a rien de divin, ses yeux ne parlent pas de l’âme, ses lèvres n’exhalent pas le souffle de la création ; l’autre Bacchus, plus jeune, est un dieu, lui, le vrai Dionysos, avant que la tradition grecque touchant sa personne et ses attributs n’ait été altérée par des corruptions asiatiques et latines. C’est l’incarnation même de la jeunesse, sur les pas de laquelle jaillissent toutes les fleurs de l’imagination et de la passion, mais aussi qui porte en elle toutes les surprises du génie et toutes ses forces, — toutes ses forces et aucune de ses faiblesses… S’il se réjouit, il règne en même temps. A sa vue, l’on comprend comme il aurait été plus doux d’être vieux au temps où le monde était jeune que d’être jeune maintenant que le monde est vieux. — vous autres Grecs, vous êtes toujours des enfans, disait l’Égyptien à Solon. — Et nous autres, hélas ! on nous nomme avec vérité des vieillards nés d’hier. — À cette époque bienheureuse, l’enfance rayonnait jusque sur la face du plus puissant des dieux. Et aujourd’hui les enfans eux-mêmes ne sont plus jeunes !

« Ce Bacchus et mon Ariane se tiennent tout près l’un de l’autre, toujours rapprochés sans se rencontrer jamais, comme deux amans séparés par quelque tort irréparable. Je les regardais pour la centième fois : — C’est une Ariane, décidément ! — ….. La chaleur était intense. J’avais dormi très peu cette nuit-là, ayant eu la fortune de rencontrer un fragment de vieux bouquin qui portait à ce qu’il m’avait semblé la marque d’Alde. Jusqu’à l’aube, j’avais vérifié les mérites de mon trésor. J’étais encore debout, quand les rossignols, aux premières lueurs du jour, s’étaient interrompus pour laisser chanter les merles et les grives sur la colline de Janus, de sorte que je cédais à l’influence soporifique de cette journée.