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Mais Signa, l’antique Signa, Signa la ville ? .. — Elle compte bien des siècles, elle a va bien des événemens. « Quelque nombreux toutefois que soient ses souvenirs, elle ne sait qu’une chose, c’est que la justice n’existe nulle part. Signa est sage. Elle laisse aller te monde, elle dort… » voilà tout l’enseignement qui ressort de ces trois volumes, où une foule de détails caractéristiques et charmans rachètent jusqu’à un certain point la banalité assez malsaine du fond.


II

Ariadné est la contre-partie de Signa. Cette fois il s’agit de la plus noble des femmes, perdue par sa fidélité invincible à un unique amour. Ariane est abandonnée, mais nul ne la consolera jamais de cet abandon : elle doit en mourir. Ce récit, qui n’est que l’histoire d’un rêve, se ressent du lieu qui l’inspira et où Ouida nous fait entrer avec elle dès le premier chapitre.

« C’est une Ariane, assurément c’est une Ariane. Un Bacchus ? quelle idée ! me répétais-je à moi-même, assis solitairement devant l’objet de mes réflexions, par une accablante après-midi d’été. Le gardien, étant de mes amis, me laissait souvent pénétrer dans la place alors qu’elle était fermée au public ; il me savait capable d’adorer les marbres plutôt que de leur nuire. Le silence était absolu. Au dehors le soleil inondait les terrasses et les degrés moussus ; aucune branche ne frémissait dans le doux crépuscule produit par la verdure largement épandue des plus et des cèdres. L’une des croisées était ouverte, je pouvais voir les hautes herbes diaprées de fleurs, les ombres lourdes des yeuses qui s’entre-croisaient et la forme blanche dès bestiaux endormis dans cette fraîcheur et ces parfums. Les oiseaux avaient interrompu leurs chants, les lézards même étaient tranquilles, dans ces chemins profonds hantés par les faunes de notre magnifique villa Borghèse, où Raphaël avait coutume d’errer au lever du jour en sortant de la petite chambre qu’il a décorée d’amours joyeux, de déités cachées sous les fleurs, de nymphes portant des roses et de portraits en médaillons de sa Fornarina.

« — Oui, c’est une Ariane, disais-je assis dans la galerie des césars, cette longue salle délicieuse entre toutes avec ses croisées ouvertes sur la verdure des bois, sur l’éclat des eaux chargées de roseaux sombres et sur la gloire dorée du soleil que tempère un voile de feuillage.

« Connaissez-vous le buste dont je veux parler, un buste en bronze, sur une plinthe d’albâtre fleuri, avec une couronne de lierre dans ses cheveux bouclés ? On ne l’appelle pas Ariane à la villa Borghèse,