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vénale Messaline, l’autre dévouée, sainte et parfaite, pour montrer finalement le triomphe du mal impuni jusqu’au bout.

Quel rôle ingrat Ouida prête toujours à la vertu ! Est-ce donc là son lot inévitable dans le monde ? Il ne convient point, en tout cas, de lui attribuer obstinément ce lot dans le roman, qui, sans être condamné à présenter des moralités puériles et fastidieuses, a du moins pour premier devoir de ne pas montrer le bien plus dupe et plus victime encore qu’il ne test. Nous ne pouvons nous empêcher non plus de blâmer les indulgences sans bornes qu’a cet auteur féminin pour les fautes masculines. Dans Puck, elle plaignait le roi de la création d’être forcé par l’amour d’aller, inassouvi et mécontent, des femmes chastes qui sont de glace aux femmes passionnées qui sont infâmes, réduit dans les deux cas à briser les liens qui ne sauraient le satisfaire, et traité pour cela d’infidèle, sans trop de raison ! « Oh ! ajoutait-elle, j’ai assisté maintes fois à ce combat, le combat entre l’âme et les sens, entre l’amour saint et l’amour diabolique, entre la femme qui cherche dans l’homme un dieu et la femme qui cherche dans l’homme une bête, et jamais la lutte n’a fini autrement que par la mort du lis sans tache écrasé sous le pied de son bourreau, tandis que la fleur vénéneuse grandissait haute, libre et altière, sur les ruines de la maison de celui-ci. » Dans Signa, elle reprend la même thèse avec complaisance.

Ce jeune artiste, comblé dès son coup d’essai par la fortune, a le malheur de rencontrer tel tableau du peintre Istriel qui représente une danseuse nue, désignée audacieusement comme la sœur des sept danseuses d’Herculanum et qui n’est pourtant que le portrait d’une fille fameuse à Paris sous le sobriquet d’Innocence. Istriel a la spécialité de peindre des femmes déshabillées ; aussi a-t-il su trouver le secret des richesses et du succès facile qui consiste tout entier en ceci : n’être pas plus grand que son temps. Or le modèle éhonté de son dernier tableau, la perverse Innocence, maîtresse d’Istriel, qu’elle trompe comme elle a trompé tous les autres depuis ses précoces débuts dans une carrière bassement aventureuse, c’est Gemma. Une nuit, le compagnon de son enfance la retrouvera non pas à l’état de pur esprit, comme Palma se la représente dans la douleur qu’elle éprouve de sa disparition, mais bien vivante et surnaturellement belle, se baignant au clair de la lune sous les ombrages parfumés de ses jardins solitaires. Il redeviendra esclave de l’enchanteresse : c’est Psyché, c’est Lamia, non, c’est le vampire perfide qui sucera sa vie et son génie ; elle le prendra tout à elle, sans l’aimer, mais elle s’est dit : — L’abjection où je suis tombée lui fait horreur ; il faut que je me venge de son mépris ;