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enceintes, dont la première n’a pas moins de 800 mètres de tour, et d’un donjon au centre. Naguère encore on entrait dans celui-ci par un escalier ou rampe extérieure de trente marches placée sur le côté ; mais, quand je le visitai, depuis deux mois à peine, miné par les ans et plus encore par l’abandon, tout un pan de mur s’était écroulé à grand bruit, laissant ainsi la tour ouverte du haut jusqu’en bas. Aujourd’hui ce n’est pas sans danger qu’on se hasarde à l’intérieur, et quand les restes des anciens planchers, suspendus dans le vide, seront tombés à leur tour, les oiseaux seuls auront le droit d’y atteindre. La hauteur actuelle de la tour est de 90 pieds ; à quelque distance, on distingue un humble édifice, reconnaissable pour un ermitage à l’ouverture du petit mur où était installée la cloche. C’est l’ancienne chapelle de San-Martin, maintenant transformée en grange. Là reposent, à quelques pieds sous le chœur, Lope Garcia, le chroniqueur, et avec lui bon nombre de ses aïeux et de ses descendans. Ah ! qu’ont-ils dû penser ces rudes batailleurs, quand deux armées naguère se heurtaient sur leur tombe ? Leurs os ont-ils tressailli à la voix du canon ? Ont-ils reconnu le cliquetis du fer, le crépitement des balles, les cris de rage des vaincus, les plaintes des mourans ? Sont-ils contens de tant de sang versé et trouvent-ils que les hommes de notre âge savent, eux aussi, bien haïr et bien tuer ?

De San-Martin, la route est courte au mont Triano, qui du côté du sud ferme la vallée. Anciennement, la famille des Salazar exerçait un droit seigneurial sur l’exportation du minerai. Ce droit lui fut plus tard retiré par les rois catholiques et la propriété des mines revint, selon le fuero, tout entière aux communes, les exploiteurs jouissant de l’usufruit. A n’en pas douter, le fer dans ces contrées était primitivement travaillé à bras, comme l’indique le nom basque de forge, oleac, qui signifié lieu haut. Dans la suite, on imagina d’utiliser la force de l’eau pour faire mouvoir les soufflets et les marteaux, remplacés vers 1540 par les martinets à la génoise. La tuyère, qui attire l’air sur le foyer au moyen d’un conduit, fut introduite dans le pays dès le milieu du XVIIe siècle ; mais la routine, ce grand ennemi de toutes les industries montées sur une petite échelle, fut encore la plus forte, et les roues hydrauliques et le soufflet, avec de légères modifications, se sont perpétuées jusqu’à nos jours dans la plupart des forges de Vizcaye. Cependant la métallurgie du fer faisait en Angleterre et en France les plus grands progrès ; bientôt le fer du pays ne put plus soutenir la concurrence, même sur les marchés nationaux, avec le fer anglais, beaucoup moins coûteux, — et les forges s’éteignirent peu à peu. C’en était fait de cette vieille industrie si, se rendant à l’évidence et renonçant à leurs erreurs, quelques hommes intelligens n’avaient décidément