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les piliers de pierre dont on se sert là-bas pour soutenir les treilles. Par un fait bizarre, les cépages blancs seuls ont péri, les autres ont résisté. Le vin qu’on en tire, nommé chacoli, est, fort estimé des indigènes ; à les en croire, il a virtuellement tous les mérites, et je me souviens d’avoir lu qu’il suffirait de quelques ingrédiens, d’un peu de sucre par exemple et d’un bon bouchon pour en faire un excellent champagne ; c’est y mettre beaucoup de bonne volonté. Tel quel, le chacoli est un petit vin aigrelet, rafraîchissant et assez agréable au goût ; il ne se conserve pas au-delà d’un an : il est vrai qu’il gagnerait à être un peu mieux soigné. Autrefois en Vizcaye on ne buvait guère que du cidre, et chaque cultivateur entretenait à cette fin un nombre considérable de pommiers ; si l’oïdium continue ses ravages, force sera de revenir au cidre ; il n’y a guère que les riches qui puissent acheter du vin de la Rioja.

Deux heures de marche par le bord de la mer nous mènent à Ondarroa, la dernière localité de la Vizcaye sur la côte. Là encore nous retrouvons une population d’habiles pêcheurs et de vaillans marins : à l’aviron, les Ondarroais n’ont pas qui les défie, et par les plus gros temps, alors que les patrons de Lequeitio eux-mêmes n’osent quitter la rade, ils partent bravement à la pêche du bonito, Ondarroa entretenait autrefois un commerce assez considérable avec les côtes de la Méditerranée, du Portugal, de l’Angleterre, et ses chantiers de constructions maritimes étaient des plus renommés ; mais le développement rapide de Bilbao lui a nui ; en outre sa passe est devenue impraticable à marée basse. Bâtie sur un pli de roc, au fond d’un entonnoir de hautes montagnes, à ses pieds, comme au premier plan, l’église, qu’un groupe d’arceaux d’un effet inattendu soutient et protège contre l’atteinte du flux, elle voit le travail de la mer obstruer son port peu à peu et reculer le rivage. Tout cependant n’est pas perdu pour elle. Depuis quelques années, bon nombre de familles riches de Madrid et de l’intérieur ont pris l’habitude de passer l’été dans les provinces du nord, à Bermeo, à Mundaca, à Lequeitio, à Zarauz, à Saint-Sébastien ; elles y viennent chercher un air pur et sain, des buts d’excursions variés, une mer poissonneuse, et pour le bain des plages sûres et commodes. Un moment interrompue par les événemens politiques, cette migration des touristes a repris de plus belle à la saison dernière et ne s’arrêtera plus. C’est là qu’Ondarroa doit trouver une source de prospérité nouvelle. Un peu au sud de la ville, dans un enfoncement du rivage et protégée des deux côtés par l’avancement de deux pointes de rochers dont les blocs détachés lui font comme une barrière naturelle, s’étend la plage de Saturraran, large, spacieuse, doucement inclinée et tapissée de sable fin ; la mer ne s’en retire jamais, unie comme l’eau d’une baignoire, et les vagues paresseuses semblent n’y avoir gardé de leur