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de Guinée ; leurs bâtimens de commerce les mettaient en relation avec tous les ports de la Méditerranée, de l’Océan-Atlantique, de la Manche, de la Mer du Nord ; de longue date existait à Cadix une association de pilotes, originaires du Señorio. En même temps, ils aidaient puissamment les rois de Castille dans toutes leurs entreprises sur mer.

Les marins de Lequeitio n’ont pas dégénéré de leurs aïeux ; ils ne courent plus la baleine, aujourd’hui presque introuvable, mais chaque année les thons et les merluches, les sardines et les anchois, gros et petits poissons, leur paient un terrible tribut. Ils ne sont pas dispersés dans le reste de la ville comme à Bermeo ; ils forment un quartier à part et assez malpropre, je dois le dire. Ce quartier naturellement confine au port, qui est petit et presqu’à sec à la marée basse ; par contre les eaux montantes viennent lécher les murs des maisons dont plusieurs s’ouvrent en arcades pour les recevoir. Les jetées ont beaucoup souffert du bombardement ; on sait que pendant la guerre, pour réprimer les cruautés du parti carliste, le gouvernement de Madrid n’imagina rien de mieux que de faire bombarder par ses canonnières tous les ports de la côte qu’occupait l’ennemi. Ignorait-il que, si dans l’intérieur la population lui est opposée, dans les villes maritimes, où les hommes de bonne heure courent le monde et s’instruisent en voyageant, les idées nouvelles sont surtout en honneur ? A Lequeitio, les libéraux seuls possèdent : c’est dire que tout l’effet de la mesure gouvernementale est retombé sur eux. La vieille église paroissiale, située au bord de la plage, fut un moment compromise ; par sa position pittoresque en vue de la mer dont le sable s’entasse à ses pieds, par la hardiesse de ses piliers, la délicatesse de ses ogives, l’élégance de son abside enrichie à l’extérieur de fines dentelures gothiques, elle est peut-être en ce genre le monument le plus curieux du Señorio.

Mais le principal attrait de la ville serait encore dans ses environs, où les champs sont fleuris comme des jardins et les jardins riches comme des serres. Grâce au grand courant du Mexique, dont une branche se rabat vers l’est et fait sentir son influence dans le golfe de Vizcaye, toute cette partie de la côte jouit d’une température exceptionnellement égale et douce ; il n’y gèle jamais ; oliviers, grenadiers, orangers, citronniers, tous les arbres du midi y viennent en pleine terre. La vigne était aussi une des grandes richesses de la contrée, mais depuis plus de quinze ans l’oïdium venu de France s’est abattu sur elle avec une violence inouïe et a presque entièrement perdu la récolte ; même en beaucoup d’endroits il a fallu arracher les ceps, renoncer à la culture, et rien n’est désolant comme de voir par la campagne se dresser, blancs et dépouillés,