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montagnes. On savait qu’Iparaguirre chanterait la chanson intitulée : l’Arbre de Guernica. De tous les villages, de tous les hameaux, de toutes les fermes des environs, le peuple accourut en foule : il y avait là plus de 6,000 personnes. Iparaguirre entonna le chant dont je vais vous lire la traduction littérale ; il est court : « L’arbre de Guernica est pour nous un arbre bénit ; il n’y a pas un seul Basque qui ne tremble de plaisir à le regarder. Étends ton feuillage et fais tomber tes fruits sur le monde, oh ! symbole saint de nos libertés séculaires ! Nous t’adorons prosternés à genoux » » — À ces mots, la foule s’agenouillait comme si elle eût été mue par un ressort, et tous se découvraient, puis le chanteur continuait d’une voix plus forte : — « Et si jamais la tempête secoue tes rameaux touffus, si les nations étrangères viennent porter la hache contre ta souche, nous le demandons au ciel, que le fer sauveur contenu au fond de nos montagnes se convertisse, pour te défendre, en armes acérées. » Alors l’enthousiasme était à son comble ; tous ces hommes au sang chaud, au cœur vaillant, qui pendant sept années de guerre avaient exposé leur vie sur les champs de bataille, levaient les bras vers le ciel en jurant de mourir pour les fueros… La chose alla si loin que l’autorité s’en émut, et, par crainte de troubles, le général Mazarredo, alors capitaine-général des provinces, donna l’ordre au trouvère de quitter immédiatement le pays. Le pauvre garçon devait mourir plus tard à Montevideo. »

A peine entré dans la ville, vous vous rendez en pèlerinage auprès de l’arbre sacré, chacun s’offre à vous y conduire. L’arbre actuel est vieux d’une centaine d’années et descend directement du chêne primitif, car on conserve toujours à côté de l’ancien un ou deux rejetons destinés à le remplacer quand l’âge l’aura fait succomber. Le dernier, tombé de vieillesse le 2 février 1811, existait, d’après la tradition, depuis le milieu du XIVe siècle ; c’est sous son ombre que les rois catholiques, Ferdinand et Isabelle, assis sur le banc de bois qui en entourait la base, avaient juré de respecter les fueros. Les délibérations avaient lieu d’abord en plein air, au pied même du chêne, d’où la formule dont le congrès accompagne encore ses décisions : so el arbol de Guernica ; plus tard, la population étant devenue plus grande et ses délégués plus nombreux, on abandonna la plaine nue où l’on se tenait, et les assemblées se firent dans l’ermitage de Santa-Maria, très ancien sanctuaire situé tout auprès. Aujourd’hui, le banc de bois a été remplacé par un siège de pierre ; l’église, rebâtie vers 1830, se trouve enclavée dans un vaste édifice du style néo-grec encore incomplet et destiné à fournir des chambres de travail aux députés et des locaux pour les archives. L’intérieur de l’église, qui sert également de salle des séances, est orné d’une collection des portraits en pied de tous