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mûrs, secoués par le vent et courbés presque sur les flots, mettant nue bordure d’or à la nappe bleue de la mer. Bientôt on distingue le petit port de Mundaca, un des points les plus anciennement peuplés de la province. La route le traverse entre deux rangées de maisons bien bâties, et, remontant le cours sinueux de la rivière, s’enfonce dans l’intérieur ; on atteint alors une plaine légèrement inclinée au centre de laquelle s’élève Guernica. Sans importance comme population, — elle compte à peine 600 habitans, — cette ville n’en est pas moins la cité sainte du Señorio : c’est elle qui tous les deux ans sert de siège au congrès ; elle qui renferme, avec le palais des juntes, le dépôt des archives et la basilique de Santa-Maria-la-Antigua, la plus vénérée de toutes les églises juraderas ; elle enfin qui possède le palladium des libertés basques, le chêne sous lequel de temps immémorial le Señor de Vizcaye vient jurer le maintien des fueros. Cet arbre fameux, la poésie et l’éloquence l’ont célébré tour à tour : J.-J. Rousseau le bénit, nos soldats républicains, passant à Guernica, lui rendirent les honneurs militaires comme au père des arbres de la liberté ; déjà Tirso de Molina l’avait glorifié dans ses vers à la face des monarques autrichiens ; mais c’est encore un Basque, un fils du pays, qui a trouvé pour le chanter les accens les plus émus et les plus touchans : il existe un hymne patriotique, l’Arbre de Guernica, dont la musique et les paroles, par un rapprochement curieux avec notre Marseillaise, n’eurent qu’un même auteur. Voici à ce propos un extrait du discours prononcé le 16 juin 1864 devant le sénat espagnol par don Pedro de Egaña, député de la province d’Alava : « Sous les drapeaux du prétendant Carlos V se trouvait un vaillant jeune homme nommé Iparaguirre, pauvre berger dans une humble ferme du village de Zumarraga ; il était parti pour la guerre à peine âgé de seize ans ; dès le début de la campagne, il fut grièvement blessé, et, désormais incapable de tout service actif, il dut prendre rang dans le corps des hallebardiers de don Carlos. Le convenio arriva ; mais, dévoué qu’il était à la cause de l’infant, il ne voulut pas y adhérer ; il se retira en France, où pendant plus de vingt ans il mangea le pain de l’exil. Il avait belle voix, gaillarde prestance, longue chevelure bouclée… C’était un de ces caractères aventureux qui portèrent si haut la gloire de l’Espagne au XVe et au XVIe siècle ; il avait soif d’émotions et de périls. Il revint donc dans les provinces, et, comme il lui répugnait après avoir été soldat de reprendre le métier de laboureur ou de berger, il se fit musicien ambulant ; il parcourait le pays en chantant des chansons sur les fueros dont il était l’auteur ; on l’appelait le barde vascongade. Messieurs, poursuivit l’orateur, j’ai pu assister moi-même à un de ces concerts en plein air au milieu des