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rang juge le moment venu, elle pousse avec le doigt le bouton de cuivre placé au bras droit de sa stalle, le fil de fer déplace la boule et la fait tomber avec bruit dans le bas de la petite case ouverte au-dessous d’elle ; le crieur alors s’approche, et, lisant le numéro, demande à l’acheteur la quantité de poisson qu’il désire : après quoi la vente continue jusqu’à ce que les chiffres prévus aient été couverts. Si deux ou trois boules sont tombées à la fois, le crieur les ramasse et les appelle à mesure qu’elles se présentent sans que l’ordre qu’il suit prête jamais matière à réclamation. Vient ensuite le tour des autres poissons ; mais la merluche est encore la plus estimée. Comme il est naturel, ce sont les marchands de marée qui, tenus d’approvisionner les marchés, répondent les premiers et achètent au plus haut prix : à la vérité, ils n’ont besoin que de quantités relativement minimes ; les fabricans d’escabeche enlèvent le reste par 3,000 ou 4,000 arrobes. Grâce à la concorde et au bon vouloir qui règnent parmi les assistans, en moins de dix minutes la vente est terminée, et l’administrateur lève la séance. On se rend alors sur le port.

Dans l’intervalle, la nuit est venue : toute la mer au loin est constellée des mille feux des falots qui brillent dans l’obscurité comme si une poignée d’étoiles s’étaient détachées du firmament et étaient tombées dans les flots ; les premières barques commencent à aborder ; à mesure qu’elles arrivent, les femmes, munies de corbeilles d’osier, s’empressent de les décharger. La maison de la confrérie forme de ce côté un vaste portique à colonnes, pavé de pierres plates, au-dessous duquel sont établies d’énormes balances ; c’est là que le poisson est déposé par tas séparés. On s’occupe alors de le peser, tandis qu’un employé, à la clarté d’une grosse lanterne rapidement prend des chiffres, et tout aussitôt il est chargé dans des paniers ronds que des bœufs emportent à travers la ville. On ne saurait imaginer, sans l’avoir vue, une scène aussi fantastique : le tumulte du débarquement, la rentrée des voiles et des filets, l’appel des marins, les glapissemens des femmes, le heurt des paniers qui se renversent, le mugissement des bœufs, les cris des conducteurs, et, dans le fond, énormes, hideux, la gueule grande ouverte, sous la lumière fauve de la lanterne qui fait, étinceler leur peau visqueuse, les thons et les merluches sautant, bondissant, agitant leur queue qui frappe le pavé mouillé avec un bruit sec. Cette animation se prolonge bien avant dans la soirée jusqu’à l’arrivée du dernier bateau, vers minuit ou une heure du matin ; puis chacun se retire pour se retrouver là dès le lendemain.

Les espèces de poissons qu’on pêche le plus communément à Bermeo comme sur le reste du littoral sont la merluche, le thon et le rousseau, tous trois de forte taille ; il arrive parfois, dans les