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portrait du coadjuteur, aujourd’hui perdu, mais qui a été fidèlement reproduit au burin et à l’eau-forte par Morin. C’est celui d’un bon ecclésiastique qui n’a jamais fait parler de lui, sans flamme, sans passion, à l’œil sans vivacité, à la lèvre molle, tombante, à la physionomie dénuée d’intelligence et d’esprit. Évidemment le caractère du personnage n’a pas été compris par l’artiste ; il n’a pas su percer le masque de Paul de Gondi, lorsque celui-ci a posé devant lui. Philippe de Champagne, le peintre ascétique, grave et froid des solitaires de Port-Royal, n’était pas fait pour comprendre la nature singulièrement inquiète et turbulente du coadjuteur.

Combien, en revanche, est plus vivant et plus vrai le portrait gravé par Robert Nanteuil en 1650, et comme on reconnaît bien là le chef de la fronde ! Pour le saisir dans tout son beau, dans son lumineux éclat, il faut l’examiner sur une épreuve de premier ordre, aux estampes de la Bibliothèque nationale ou dans la collection de quelque riche amateur. Seules ces épreuves du premier état, qui sont d’une extrême rareté, peuvent nous donner une idée de cette singulière physionomie. La figure n’a rien de français ; on sent qu’on est en présence d’une nature toute méridionale, italienne, telle qu’on en voit parmi les bustes des maîtres florentins de la renaissance. Les traits sont brouillés et d’une irrégularité impossible à décrire ; le nez en l’air est coupé à sa base par de larges méplats ; les pommettes sont trop en saillie, les lèvres trop lourdes, le bas de la tête est trop étroit. Tous ces traits forment un ensemble peu plastique. Et pourtant les yeux sont si beaux, pensifs et spirituels, si pleins d’un feu intérieur, la lèvre, bien que très sensuelle, est si malicieusement relevée dans les coins, le nez si impertinent et si audacieux, le front, large, puissant, divisé en deux lobes, si bien conformé, que l’on oublie cette laideur pour admirer le grand air du personnage et tout ce que sa physionomie exprime à la fois d’intelligence, de finesse, d’énergie, de résolution contenue. Ajoutez que Retz avait les plus belles dents du monde, et que ses dents, ainsi que ses yeux, attirèrent l’attention d’Anne d’Autriche, un jour qu’il se trouvait en conférence avec elle dans le petit oratoire du Louvre. C’est lui qui le dit du moins, tout en reconnaissant de bonne grâce qu’il était fort laid. Comment s’imaginer qu’un homme si disgracié ait obtenu de si brillans succès parmi les plus belles et les plus grandes dames de son temps ? qu’il ait pu tour à tour inscrire sur sa liste la princesse de Guémené, la maréchale de La Meilleraye, la duchesse de Brissac, Mme de Pommereux, Mlle de Chevreuse, de la maison de Lorraine, Anne de Gonzague, la célèbre princesse palatine et tant d’autres femmes du plus grand monde ? C’est que ce petit homme, si peu favorisé du côté du corps, était