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secrètement ordonnés par Condé pour venir à bout d’une poignée de bourgeois qui ont eu l’audace de lui tenir tête. Sous une exquise politesse, sous les plus séduisans dehors, certains grands seigneurs du temps de Louis XIII, qui ont bravé la tyrannie de Richelieu, ont gardé toute la férocité du moyen âge et des guerres de religion. À côté d’instincts tout à fait semblables, qui lui sont d’autant plus naturels qu’il est resté Italien par le caractère, Retz, si Français d’esprit et de cœur, a une noblesse innée que l’on ne trouve certainement pas dans Mazarin. Il n’a rien de vénal comme celui-ci, et, s’il fût arrivé à la tête des affaires, il est certain qu’il n’eût pas détourné un denier du trésor public, dans lequel Mazarin ne se fit aucun scrupule de puiser secrètement, à son profit, plus de 60 millions de livres. Nul n’a parlé en termes plus nobles, plus élevés que Retz du génie de Richelieu, de l’héroïsme de Condé, de l’impassible fermeté de Mathieu Molé, des qualités des grands hommes de son temps, lors même qu’ils étaient ses plus mortels ennemis. Son ambition, noble ambition déçue, eût été de jouer un rôle intermédiaire entre Richelieu et Mazarin, en évitant le trop de dureté du premier et le trop de faiblesse du second, en pratiquant leur politique extérieure avec les mêmes vues et la même grandeur, mais en respectant et même en élargissant à l’intérieur le peu de libertés dont jouissait alors la France. Si Retz, dans ses Mémoires, n’a pas été le plus insigne des imposteurs, il faut reconnaître qu’il eut, dans une certaine mesure, l’instinct du bien public, de l’utilité des contre-poids nécessaires à l’autorité royale.

Pour quiconque sait avec quelle supériorité Retz, dans ses dernières années, conduisit à bonne fin les difficiles missions que lui confia Louis XIV auprès de la cour de Rome, il ne saurait être douteux qu’il eût fait un excellent ministre des affaires étrangères.

Ajoutez qu’il était grand, généreux, profondément dévoué à ses amis, avec lesquels il ne cessa jamais de partager sa bourse, qu’en plus d’une occasion, pour ne pas abandonner leurs intérêts, il refusa de traiter avec la cour, et qu’il ne voulut pas être compris sans eux dans un accommodement dont lui seul eût recueilli tous les avantages. Cette fidélité à toute épreuve, il ne cessa de même de la garder à ses complices, ce qui est l’une des qualités les plus essentielles d’un conspirateur. Aussi, dans la disgrâce comme dans la bonne fortune, fut-il entouré des plus sincères dévoûmens, des amitiés les plus tendres. Malgré les scandales, les fautes et les crimes dont sa vie fut souillée, nul homme de son temps ne se trouva déshonoré d’être son ami. À son retour d’exil, il fut recherché, applaudi, fêté par tout ce que Paris et la cour comptaient encore d’hommes illustres, de grands seigneurs, de femmes d’esprit