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que le coadjuteur répandait à profusion dans les basses classes pour se rendre populaire. Cela était revenu aux oreilles de ce dernier, qui s’en vengea dans le passage suivant, dont l’allusion est tout à fait transparente. En défendant le caractère purement pieux des aumônes de Charles Borromée, Retz cherchait à donner aux siennes une couleur toute semblable :

« Saint Charles vend son bien, il fonde des hôpitaux, il institue des collèges, il bâtit des séminaires, il nourrit tous les pauvres. On lui impose à crime ses charités. On se veut imaginer que sa douceur et ses aumônes sont des appâts qu’il sème pour gagner l’amitié des peuples. L’auteur de sa vie nous apprend que la méchanceté passa à un excès de tout point étrange. On le soupçonna de reprendre les pensées ambitieuses des anciens archevêques de la maison des Visconti ; on l’accusa même d’avoir des intelligences secrètes avec quelques princes d’Italie pour entreprendre sur l’état de Milan. Ses actions, toujours désintéressées, justifièrent absolument sa conduite. Sa vertu parut plus éclatante, après avoir été attaquée par le fer, par le feu, par les persécutions et par les calomnies… Et pour convaincre de tout point la méchanceté de ces âmes lâches et noires, qui expliquent pour l’ordinaire les bonnes actions en mauvais sens, la providence de Dieu permit qu’un peu de temps après ces persécutions, saint Charles trouva une occasion très belle et très éclatante de mépriser la vie et de la mépriser en un point qui prouva clairement qu’il ne l’avait jamais destinée à la grandeur humaine, mais seulement au service de Dieu. La peste ravagea avec furie la ville de Milan ; il assista les malades de tout son bien, il les servit de sa propre personne et leur administra lui-même les sacremens. O mon Dieu, quand vous frappez les ouailles de ce fléau si funeste et si épouvantable, quelle consolation un pasteur, animé des justes sentimens de sa profession, peut-il prendre dans leurs malheurs que celle de les servir, de souffrir et de mourir avec elles ! Bonus pastor animant suam dat pro ovibus suis. Cela est de devoir, cela est de précepte, cela est d’obligation des plus indispensables. O mon Dieu, que le zèle, que le courage, que la charité de saint Charles nous comble de honte et de confusion. »

Quant au coadjuteur, loin d’être prêt à donner sa vie pour son troupeau, il ne songeait, lui, qu’à l’exploiter sans trêve et sans merci au profit de son ambition. Que de fois il transforma la chaire sacrée en tribune politique et ses sermons en pamphlets, comme les prédicateurs de la ligue ! tel de ses sermons, dont il ne nous reste plus que le titre, était une mazarinade. C’est là le côté le plus original du sermonnaire ; il fut peut-être le seul homme du clergé, pendant la fronde, qui osa se servir en chaire d’une telle