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craindre pour lui-même de la comparaison. Loin de là, il met la vie du saint homme en opposition avec celle des abbés de cour, tout comme si lui-même était hors de cause, et de l’exemple de l’une il tire la condamnation de l’autre. Chemin faisant il fait une allusion aux vocations forcées. Si Charles Borromée est devenu un saint, ne vous en étonnez pas, c’est qu’il a embrassé par son propre choix la vie ecclésiastique. Conclusion sous-entendue : Soyez plus indulgens, mes frères, pour ceux dont la vocation n’a pas été libre. Il faut en convenir, le tour ne manque pas d’habileté et d’à-propos. Voici quelques fragmens de ce panégyrique, dont plusieurs passages rappellent l’allure dégagée de l’auteur de la Conjuration de Fiesque. Bien que les deux sujets soient si différens l’un de l’autre, on retrouve dans leur style un air évident de parenté. Si Retz n’est pas profondément ému par les vertus chrétiennes de son saint, on voit du moins qu’il a pour lui ce respect et cette admiration que devait imposer à un esprit élevé comme le sien ce noble et grave sujet. Le coadjuteur s’attache dans ce panégyrique à tracer la ligne de conduite que doit suivre un vrai pasteur de l’église. Rien de plus curieux à étudier au point de vue du contraste :

« Saint Charles, dit-il, a été l’illustre rejeton d’une des plus illustres tiges qu’ait portées l’Italie. Les honneurs qui ont été dans sa maison, les grandes terres qu’elle a possédées, les belles alliances qu’elle a prises, marquent suffisamment la grandeur de sa naissance et tous ces avantages qui, n’étant que des dons de la fortune, ne méritent pas d’être relevés avec plus de paroles dans une chaire chrétienne, mais qui ne sont pas toutefois si faibles selon le monde, qu’ils n’emportent presque toujours un jeune courage, quand il commence à les sentir. Dans ces avantages, dis-je, saint Charles a conservé une modération d’autant plus admirable qu’elle est plus rare, et qui a fait qu’il n’a pas plutôt commencé à la connaître qu’il s’est donné à Dieu. Il a embrassé avec ferveur et par son propre choix la profession ecclésiastique, à laquelle il avait été destiné par celui de ses proches ; il a pris soin, dès l’âge de quatorze ans, de donner un emploi légitime au revenu de ses bénéfices ; il a cultivé son beau naturel par une étude assidue et continuelle qu’il a connu, très judicieusement, être absolument nécessaire à la profession qu’il voulait suivre : en un mot, il a donné une règle très exacte à sa vie dans une condition et dans un âge où les plus austères se contentent de souhaiter qu’il n’y ait point de dérèglement. »

Puis s’adressant aux fils de famille qui ont été condamnés par leurs parens à porter la soutane, il leur prêche les devoirs qu’il n’a cessé de démentir par ses exemples :