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Quand vous jeûnez, n’affectez point cette farouche austérité des hypocrites ; au contraire, comme il dit incontinent après : unge caput tuum et faciem tuam lava. Et il en rapporte la raison ailleurs : hilarem enim datorem diligit Deus, car Dieu aime ceux qui donnent gaîment, qui font de bonnes actions avec plaisir et qui trouvent leur satisfaction dans leur devoir…

« Quand la pénitence, ajoute-t-il, arrive après le péché, c’est un excellent antidote ; elle en purge entièrement l’âme ; mais si on fait un mélange, si parmi les austérités, les mortifications et les jeûnes, on ne laisse pas d’être fourbe, incestueux et cruel, tout cela ne servira qu’à porter davantage la corruption au dedans, et à pervertir l’entendement après avoir déréglé la volonté. Car de là vient nécessairement le mépris des choses saintes et la hardiesse de les violer, qui est la dernière marche pour arriver à l’athéisme. »

On voit que le coadjuteur s’était étudié lui-même à fond et à triple fond. Jamais étude psychologique ne fut poussée plus loin. Comme il lui était impossible, même en chaire, de ne pas laisser éclater les passions qui l’agitaient au temps de la fronde, au moment où il tonnait contre les hypocrites, il montrait à son auditoire ce qu’il y a de grandiose dans la passion des ambitieux, alors même qu’ils sont précipités du faîte par un coup de foudre. « Les grands vices, disait-il, donnent de grands gages à ceux qui les suivent, et l’ambition, par exemple, prouve l’honneur, qui est quasi la seule fin de la vie civile ;… la volupté nous représente la félicité des sens. Ce sont là de puissans attraits pour une âme faible, et l’hypocrite, qui se sert de la dévotion pour arriver à ces fins-là, peut trouver peut-être quelque couleur à son péché. Il est véritablement plus dangereux à la société que celui qui n’emploie ces mêmes moyens que pour satisfaire à sa vanité et se produire à la vue des hommes,… mais j’ose dire que son crime est plus pardonnable devant Dieu, qui est juge équitable parce qu’il est souverain. Si cadendum est, cœlo cecidisse velim, si la chute est inévitable, il est à désirer que nous tombions du ciel ; s’il faut mourir, que ce soit d’un coup de tonnerre ; s’il faut violer la justice, que ce soit pour l’empire du monde. Mais faire un sacrilège, fouler aux pieds la religion pour un peu de vent et de fumée, pour un je ne sais quoi qui n’est qu’en l’opinion, qui n’a ni corps, ni prise, qui n’a de valeur que ce que nous lui donnons, n’est-ce pas mettre Dieu à bas prix ? .. »

Un jour le licencieux et incrédule prélat se met en tête de faire le panégyrique de saint Charles Borromée, ce parfait modèle des évêques et des pasteurs. Ne croyez pas que la nature d’un tel sujet l’embarrasse ; il l’aborde audacieusement, comme s’il n’avait rien à