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mystères du christianisme n’est point inférieure à celle que vous nous avez figurée : elle n’instruit pas moins et ne plaît pas moins. On y remarque la même beauté, la même douceur, la même force, car il tonne et foudroie quelquefois ; mais les orages de ses figures ne gâtent point la pureté de sa diction. Dans ses sermons, le calme subsiste après la tempête, aussi bien que dans les homélies de saint Chrysostome. Ainsi vous ne pensiez faire qu’un éloge et vous en avez fait deux. Ce sont des coups de Socrate : en louant l’antiquité, vous avez obligé notre siècle, et, s’il se trouve quelque Platon qui publie un jour vos entretiens, la France vous remerciera de tout ce que vous avez dit à la gloire de la Grèce. » La louange est outrée jusqu’à l’hyperbole, mais n’y avait-il pas un certain courage à la faire éclater au moment de la disgrâce et de la prison du cardinal de Retz[1] ? Il se peut d’ailleurs que les sermons auxquels Balzac fait allusion fussent bien meilleurs que ceux qui sont parvenus jusqu’à nous ; il faudrait alors en regretter vivement la perte pour l’histoire de notre littérature à un moment si décisif. Ce qui est certain, c’est que Retz n’attachait aucune importance à ses sermons, puisqu’il n’en a fait imprimer qu’un seul, le Sermon de saint Louis. Les trois ou quatre autres qui nous restent de lui sont pourtant fort curieux à examiner aux points de vue de la langue et de l’étude du personnage.

Bien qu’il fût aussi indifférent aux questions de morale qu’à celles du dogme, il abordait les unes et les autres avec la même assurance et la même facilité. La théologie avait été pour son esprit, déjà naturellement si souple, une merveilleuse gymnastique ; elle lui fut d’un puissant secours pour faire illusion à ses contemporains du haut de la chaire. Dans les quelques sermons manuscrits qui nous restent de lui, on a peine parfois à reconnaître l’auteur des Mémoires. Souvent il sacrifie au mauvais goût de son temps, il abuse du style métaphysique, des métaphores, des citations empruntées aux anciens ; la simplicité évangélique est presque constamment fardée. Dans les sujets purement religieux, l’orateur n’est pas à son aise et reste toujours froid. Il n’en est pas de même dans les questions de morale, qu’il attaque avec la précision, la finesse, la profondeur d’un homme qui s’est constamment replié sur lui-même, qui a étudié ses passions sur le vif. C’est alors qu’apparaît, sous la plume de Retz, une langue nouvelle qui se dégage des vieilles formes pour aspirer à des formes imprévues et nouvelles, à une allure plus vive et plus hardie. On dirait qu’il aime les tours de force et qu’il choisit, comme à plaisir, les sujets les plus épineux,

  1. Le Socrate chrétien parut en 1652 pour la première fois.